Le site que l’on a actuellement sous les yeux date du règne de Louis XIII et du ministère de Richelieu. Ce dernier relance la politique maritime et coloniale du royaume de France et veut faire de Brouage la base opérationnelle de cette politique. Il y fera un arsenal et un port en y mettant les moyens. Il fera creuser toute la partie à l’est des remparts, il fera recreuser dans la vase de manière à la connecter avec le chenal d’accès au nord des remparts. Il créera des bâtiments comme la tonnellerie. Cette tonnellerie était reliée au port souterrain. Ce port souterrain permettait de traverser le rempart, d’armer et de désarmer les navires au mouillage sous les murs. Intense activité, pour des raisons maritimes, coloniales, mais aussi politiques puisque c’était l’époque où Brouage servait de base arrière pour le grand siège de La Rochelle en 1627 / 1628.
C’est aussi l’époque où Richelieu fera fortifier par l’ingénieur Pierre d’Argencourt la citadelle de Brouage et celle du château d'Oléron qui est en face, de l’autre côté du Coureau d’Oléron. Pierre d’Argencourt va léguer à la citadelle de Brouage son architecture que l’on retrouve à Oléron, c’est-à-dire un rempart en pierre calcaire et un couronnement en brique destiné à encaisser les impacts de l’artillerie ennemie. La brique n’éclate pas et ne risque donc pas, comme la pierre, d’envoyer des éclats qui vont blesser les défenseurs de la citadelle. La militarisation telle que nous la connaissons date donc de Richelieu. C’était une période assez faste pour la production de sel mais aussi le chant du cygne de ce commerce car désormais ce havre est très réduit.
Richelieu avait beaucoup d’ambition. Brouage ne cessait de croître et de prospérer : c’était une ville de 4 000 ou 5 000 habitants, au début du XVIIe siècle, traversée par d’illustres voyageurs. Dans les mémoires du suisse Thomas Platter (publiées par Emmanuel Le Roy Ladurie dans les années 1970), il a raconté ce qu’il a vu à Brouage : un manège où les gens apprenaient à monter à cheval, une salle de jeu de paume, un hôpital, cette fameuse glacière servant à stocker l’hiver de la glace qu’on allait chercher sur les chenaux pour pouvoir faire des sorbets l’été. C’était une vraie petite ville avec des administrations royales, la fameuse école de géographie qui a formé Champlain et le Gouvernement de Brouage. Gouvernement de Brouage signifie que vous aviez un gouverneur qui était un grand officier de la couronne. Il gouvernait aussi la paroisse de Brouage, c’est-à-dire grosso modo ce que l’on a sous les yeux. Mais c’était tout de même un gouverneur. Il y avait aussi un amiral à Brouage, donc le siège de la justice maritime royale pour toute la Saintonge, entre la Charente et la Gironde plus l’île d’Oléron.
C’était une capitale administrative, royale, avec de grands officiers, le commerce du sel et la flotte royale. Tout cela va être prolongé sous Mazarin avec un peu moins de lustre parce que c’était la guerre contre l’Espagne et une période de difficultés financières, la fronde aussi. Là où il y avait du volontarisme et des moyens à l’époque de Richelieu, on a essayé de le prolonger mais la vase revient vite. L’histoire de Brouage, c’est la vase.
Il y avait de tout à l’intérieur de Brouage. Les sauniers étaient sur les îles : à Hiers, toute proche de Brouage, et également à Moëze dont on voit le clocher là-bas, mais aussi à Brouage, tout comme des charpentiers, des marins, des militaires… Sur le fameux document dont je vous parlais tout à l’heure, on voit un Saunier sortir de Brouage avec son petit rouable sur l’épaule. On a l’impression d’un croquis de Blanche Neige où on verrait les nains partir au travail.
L’hôpital date de la grande période de Brouage, c’est-à-dire jusqu’à l’époque de Mazarin. Lorsque l’on traverse Brouage, l’office du tourisme a remis cela en lumière et on y parle de Marie Mancini. Elle était une Mazarinette, une nièce de Mazarin. C’étaient des filles fort riches et leur oncle était la première fortune de France à l’époque. Il les avait richement dotées. On dit que Marie Mancini a été exilée à Brouage car Louis XIV en était tombé amoureux. C’est exact. Mazarin ne tenait pas à être coupable ou responsable d’une mésalliance royale. On fait pleurer beaucoup les gens sur cette pauvrette au milieu des ronces. Non, lorsqu’elle vient là, Brouage est encore une ville et son oncle en est le gouverneur. Elle est évidemment reçue comme une princesse, on l’a en quelque sorte mise au vert en fait. Mais ce n’est pas Brouage d’aujourd’hui avec 80 habitants l’hiver, vieillissants, non il y a tout le confort de l’époque.
À partir de la fin du XVIe siècle, toutes les taxes sur les salines sont prélevées ici. Les règlements d’urbanisme concernant la ville stipulaient qu’il fallait remblayer avant de construire dans Brouage. C’était l’idée de rehausser l’îlot artificiel malgré les remparts car on ne sait jamais : Il fallait donc ajouter quelques centimètres avant de bâtir. Cela ressemblait un peu à un plan de prévention des risques avec ses prescriptions. Sébastien Périsse, un historien qui a soutenu une thèse sur la Saintonge au XVe et XVIe siècle, a retrouvé ce texte faisant obligation aux gens voulant bâtir dans Brouage de surélever en apportant du remblai. Le sentiment d’être là où se trouvait la mer autrefois était encore présent. Ça paraissait évident.
Allons voir le port souterrain. Du côté est, la mer ne viendra plus et on ne fera plus de sel. J’exagère un tout petit peu. Il y a une enquête, à la fin du règne de Louis XIV, réalisée sur l’ensemble du territoire national par un inspecteur qui s’appelle Bouthillier. Il est allé à Oléron, en Seudre et à Brouage. Sur le havre de Brouage, il a constaté qu’au début du XVIIIe siècle quelques salines continuent à fonctionner entre Hiers et Brouage. Elles étaient en revanche beaucoup plus nombreuses entre l'île d’Hiers et l'île de Marennes, là où on a un chenal qui s’appelait le chenal de l’épine et qui est devenu le chenal de Mérignac. Au XVIIe siècle, l’histoire de la production du sel s’est achevée ici.
Après, c’est devenu ça. On retrouve des mentions dans des inventaires après décès de troupeaux de moutons plus que tout autre chose au XVIIe et XVIIIe siècle. Au XIXe siècle, on retrouvera du bovin et des chevaux du fait de la remilitarisation avec les garnisons de Saintes et de Rochefort qui auront besoin de chevaux dont on fera ici l’élevage.
Jamais Brouage n’aura eu à subir de siège. Le seul épisode militaire restera l’attaque des Rochelais venant à l’entrée du havre de Brouage pour couler des rafiots afin de fermer tout simplement ce havre aux flottes royales. La seule attaque du système défensif de l’estuaire de la Charente fut en 1757, pendant la guerre de Sept Ans. Les Anglais ont débarqué sur l’île d’Aix, ont tout saccagé, fait des autodafés car ils étaient protestants. Ils ont rembarqué après avoir tout ravagé…
Il faut remarquer que la fleur de lys sculptée sur un certain nombre de guérites est une aberration historique. En effet, la construction de Brouage c’est Richelieu. Nous avions donc à Brouage les armes du cardinal et non la fleur de lys. Lorsqu’il y a eu les premiers travaux de restauration dans les années 1930, les tailleurs de pierre ont dû trouver cela joli.