Itinérance à Brouage (Hiers-Brouage, Charente-Maritime)
avec Thierry Sauzeau, historien

Le 26 juillet 2017

Cette itinérance nous fait remonter quelques siècles en arrière, du temps où le commerce du sel était florissant dans le havre et où Brouage était un port avant que la mer ne s’éloigne, pour peut-être y revenir.

1 Un historien du littoral

L’histoire de la mer intérieure des pertuis avec ses grandes îles et la transformation des marais qui la borde est unique. Cette spécificité m’a justement permis de comprendre toute la richesse et la multiplicité des mutations et des passages d’une période à une autre. En travaillant sur un autre littoral, il y aura toujours un moment où ce qui s’est passé ici, dans la mer des pertuis, se rapprochera du modèle étudié : les modalités d’échange entre une île et le continent, les produits, la présence ou l’absence d’une projection internationale avec une clientèle venue d’ailleurs, la manière dont les échanges locaux et l’échange international sont connectés, la nature des acteurs, les changements de modes de développement économique… Pour tout cela, finalement, l’histoire de la mer des pertuis fournit une grammaire. Du coup, cette grammaire-là peut être appliquée à d’autres secteurs. Les historiens, lorsqu’ils connaissent de manière approfondie un terrain, vont vers d’autres terrains avec les éléments de leur modèle avec l’ambition de mettre en lumière ce qui est comparable.

Si l’on reste dans la citadelle de Brouage, on va pouvoir se repaître d’architecture et de matériaux de construction. On pourra être amené à parler du réemploi de certains de ces matériaux. Mais si l’on veut appréhender la question du paysage et de sa dynamique autour de Brouage, on est obligé de monter sur les remparts et de déambuler, de faire un tour presque complet, de manière à dans un premier temps voir l’ancien trait de côte, essayer d’imaginer le paysage tel qu’il était avant la citadelle, c’est-à-dire en gros avant le XVe siècle, et progressivement poser les différentes pièces comme sur un puzzle de manière à ce qu’on comprenne que le trait de côte était arrivé à cet endroit-là. Ensuite, en se projetant du côté ouest de la citadelle, on verra que le trait de côte a continué à avancer longtemps après la création de Brouage. Cette déambulation va nous permettre de poser sur le puzzle les paysages et les « playmobils » qui ont joué un rôle dans l’évolution de ces paysages à chaque époque. Voilà ce que je vous propose pour aujourd’hui. Du coup, on commence par aller du côté est, du côté continent.

2 De vase et de lest jusqu’au XVe siècle

Nous sommes sur le rempart qui regarde vers le continent, sur le rempart est. On peut voir ce qu’on appelait autrefois le havre de Brouage. Jusqu’au XVe siècle, les navires pouvaient accéder jusqu’au pied des remparts. On était sur la zone de balancement des marées, ce que les géologues appellent la zone intertidale, c’est-à-dire la zone où la marée monte et descend : parfois cela émergeait et parfois c’était submergé, une sorte de vasière. C’est dans cet état-là depuis que l’on a une documentation historique qui nous permet d’en parler. Depuis le Xe ou le XIe siècle, on a des chartes de donation à l’abbaye aux Dames de Saintes de la part des ducs d’Aquitaine qui décrivent un trait de côte boisée. Les quelques mentions que nous avons nous parlent de boisement. Aujourd’hui, lorsque l’on veut visualiser ce trait de côte ancien, la seule chose qui va accrocher le regard sur ce paysage relativement plat, ce sont les petites excroissances, des petites buttes, qui sont encore boisées aujourd’hui. Pourtant, entre-temps, elles ne l’ont plus été. Au XVIIIe et XIXe siècle, l’exploitation du bois pour le chauffage et la distillation du vin, pour tout un tas d’usages, a fait que le bois avait disparu.

Qu’est-ce qui nous montre aujourd’hui la consistance de ce trait de côte ancien ? Essentiellement l’existence des clochers. Vous voyez là-bas, on aperçoit le clocher de Marennes, sur la partie sud, et si la visibilité était meilleure aujourd’hui, nous verrions Nieul et Saint-Sornin. On verrait aussi Saint-Jean d’Angle et Saint-Agnant. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si ces bourgades ont toutes un nom qui commence par Saint : elles sont à la base des prieurés dépendants de l’abbaye aux Dames de Saintes. Il y avait aussi l’abbaye de La Trinité de Vendôme. De grandes abbayes se partageaient la seigneurie ecclésiastique sur ce vaste trait de côte et les prieurés sont devenus progressivement des lieux où on administrait les sacrements : on a parlé au XIIIe siècle de prieurés – cures, puis vers le XVe siècle, il y a des paroisses et donc des curés. Tout cela se passe dans un rayon de 3 ou 4 km autour de Brouage. Marennes c’est un peu plus loin, à 5 ou 6 km, mais entre les deux vous avez l'île d'Hiers. On aperçoit également la pointe de son clocher. Là aussi un prieuré est devenu une cure au XIVe ou au XVe siècle et on y administrait les sacrements. Tout cela se répartit autour d’une vaste zone navigable qui, avant la guerre de 100 ans, est une zone de production du sel en plus de l’exploitation agricole et agroforestière des îles et du littoral.

Le cordon de salines tout autour de ce vaste golfe, limité à ce que l’on appellerait aujourd’hui la plage, permettait à la seigneurie ecclésiastique puis laïque de prélever des droits et on sait que l’ensemble de ces droits sont vraisemblablement perçus au pied de la tour de Broue qui est au fond du havre, là-bas, à 5 ou 6 km. Aujourd’hui, avec ce temps bouché, on ne la visualise pas bien. Ce dispositif alliait production de sel, contrôle par les autorités seigneuriales, prélèvements de taxes, et vraisemblablement un soin tout particulier porté à la question des lests des navires, question qui va être fondamentale dans l’histoire de Brouage.

La zone ici est très rurale. Elle offre du sel comme fret de retour à des navires venant le chercher. Mais ce n’est pas un marché de consommation extraordinaire. Lorsqu’ils viennent chercher le sel, ces navires viennent chargés de lest et ils doivent le laisser quelque part. Au point de départ, dans ce vaste environnement qu’est le vaste Havre de Brouage, ce grand fer à cheval ne doit pas leur poser beaucoup de problèmes. Mais à mesure que l’on va avancer dans l’histoire, la question du lest va être quelque chose de fondamental dont les archives vont nous parler, dans le golfe de Brouage, comme elles nous en parlent aussi dans la Seudre et à Oléron, des secteurs qui fonctionnaient rigoureusement de la même manière sur le plan économique et qui étaient confrontés exactement au même problème : des navires de plus en plus gros arrivent de plus en plus loin comme de Scandinavie ou d’Angleterre et viennent chercher du sel ici. Avec la baie de Bourgneuf, ce sont les deux zones les plus proches des pays consommateurs de la mer Baltique, de la mer du Nord et de la Manche.

Le lest était essentiellement de la pierre mais pouvait être du sable. Ce n’est pas toujours facile d’arriver à retrouver leurs origines. Quand c’est de la pierre, on la retrouve facilement. On trouve ces pierres dans l’appareillage des murs. Elles sont utilisées en garniture entre les pierres calcaires d’ici. On n’avait pas toujours la possibilité de construire des bâtiments publics uniquement avec de la pierre de taille comme les petites guérites aux angles de la citadelle ou comme les remparts. On a donc réemployé ce lest.

Cette région rurale était visitée par des navires qui venaient de pays étrangers, chargés du lest, et lorsque les navires apportaient quelque chose au titre du fret, ils ne le déchargeaient pas ici mais à La Rochelle, à Rochefort, puis chargeaient leur soute de sel et retour au point de départ. C’était une navigation circuiteuse pour la plupart de ces navires clients. Mais dans le courant du XIXe siècle, une nouvelle ressource apparaît avec les coquillages - les huîtres plus précisément - qui va faire basculer progressivement les rivages de l’île d’Oléron, l’ensemble de l’estuaire de la Seudre dans une nouvelle économie.

Les pierres de lest des navires se retrouvent dans les maçonneries des maisons à l’intérieur de la citadelle. Les granites peuvent être bretons tandis que les roches métamorphiques sont certainement scandinaves. Là, c’est très clairement de la pierre de montagne. À côté du calcaire qui est plutôt friable et gélif, vous avez toutes ces pierres exotiques issues du commerce du sel et qui étaient déchargées ici comme lest.

Les géologues de La Rochelle ont tenté dans les années 1990 d’étudier l’origine des bateaux par la nature du lest : Scandinavie essentiellement et Bretagne. Là, on a un assez bel échantillonnage de roches de montagne avec du réemploi de façon systématique. Ce bout de mur est relativement riche. On a encore un peu de granit, là, au milieu.

Pour la petite histoire, au XIXe siècle, lorsque l’on crée le réseau routier à l’intérieur du Havre de Brouage, ce lest a aussi servi de remblai. On ne trouvera donc plus de tas de lest dans le marais puisque les derniers ont disparu durant le XIXe siècle pour développer le réseau routier. Si on faisait des sondages sous la route entre Moëze et Brouage ou Hiers et Brouage, on en retrouverait des quantités phénoménales.

3 L’aménagement et l’abandon des salines
avec la guerre de Cent Ans

Donc là, je vous ai amenés à la veille de la guerre de Cent Ans. J’ai fait quelques digressions. Il faut comprendre qu’à partir du moment où l’on parle d’aménagement des vasières pour produire du sel par évaporation, nous sommes dans un environnement en équilibre instable : cela fonctionne bien tant que le marché du sel tourne à plein régime. Parce qu’en fait, pour aménager une saline, que faut-il faire ? On remue la vase et on l’aménage de manière à avoir un grand bassin qui va servir de réservoir d’eau, que l’on appelle ici un « jas » mais qui porte d’autres noms ailleurs. Et puis il y a toute une succession de bassins de moins en moins profonds et de moins en moins larges. Le tout étant de créer un cheminement qui permet de concentrer l'eau de mer. Cette question-là n’est pas anodine car se pose toujours la question de l’envasement de la saline.

Quand la saline tourne à plein régime, les sauniers sont là, ils ouvrent, ferment et nettoient, il n’y a aucun problème. Lors des conflits de longue durée, le marché du sel chute et les sauniers s’évaporent, pour faire un vilain jeu de mots, ils vont ailleurs. Ils ne vont pas s’amuser à entretenir la saline juste pour faire joli alors que leur gagne-pain n’est plus là. Ils s’évaporent dans l’espace rural, autour, remontent sur le plateau et trouvent à s’employer dans les champs, dans l’exploitation forestière ou encore dans les vignes qui sont extrêmement importantes. Le problème se pose également pour la viticulture avec un différentiel de taille : le vin se conserve, et plus il se conserve, plus il prend de la valeur. On sait pertinemment que l’interruption du commerce du vin ne nuit pas à l’état de la vigne alors que l’interruption du commerce du sel nuit gravement à l’état des salines qui sont abandonnées. La guerre de Cent Ans fut certainement l’une des premières étapes dans le rétrécissement du havre de Brouage. La zone productive et entretenue par les sauniers, une bande de quelques centaines de mètres autour du havre, devient une vasière que la mer recouvre de moins en moins souvent. On peut appeler cela des atterrissements ou des relais de mer.

Une fois la paix revenue, les sauniers n’avaient pas le goût de recreuser. C’était tellement plus facile d’aller à l’avant de ce nouveau rivage pour brasser à nouveau la vase et créer de nouvelles salines. Ce phénomène, au lendemain de la guerre de Cent Ans, s’enclenche d’une manière qui n’est pas anodine. Étant donné qu’il y a quelques îles à l’intérieur du Havre de Brouage, les sauniers vont aménager de nouvelles salines entre les îles qui vont s’appeler les prises neuves. D’ailleurs, la toponymie des cartes d’état-major actuelles nous permet de retracer cette histoire-là, de la même manière que les vues aériennes et des relevés topographiques Lidar viennent confirmer tout cela car ces salines-là ne sont pas de la même génération que les précédentes. Les bassins, à mesure que le temps avance, vont être de plus en plus grands et larges. Les sauniers, au lendemain de la guerre de Cent Ans, vont donc souder la côte et les îles avec des ponts de salines. Non seulement c’est assez commode, ça permet d’avoir des points d’accroche topographiques relativement fermes, mais cela permet aussi de faciliter la circulation à l’intérieur du havre : la circulation des hommes, des charrois, des animaux… Mais pas celle de l’eau puisque l’on va progressivement assister à un renfermement comme deux pinces de crabe du côté ouest et puis à l’intérieur du havre avec des soudures entre les îles et la terre ferme.

Les salines sont toujours alimentées par le flot qui entre largement. Ce n’est pas une fermeture totale mais ces nouveaux obstacles vont accélérer le phénomène d’envasement. Or, le havre se situe entre l’île d'Oléron au sud, l’île de Ré au nord et l’estuaire de la Charente. Il pâtit de la dérive littorale et de son courant nord sud, qui a tendance, quels que soit le flux et le reflux à l’intérieur de la mer des pertuis, à avoir un bilan toujours positif en termes d’envasement : il y a toujours plus de sédiments qui se déposent à l’intérieur du havre que de sédiments qui en sortent par l’effet de chasse. À mesure que les hommes ont aménagé de nouvelles salines et ont réduit cet effet de chasse, donc de reflux, la sédimentation s’est accélérée.

Au lendemain de la guerre de Cent Ans, cette recolonisation du havre de Brouage se fait sur de nouvelles modalités politico-économiques. Les grandes abbayes avaient très mal vécu la guerre de Cent Ans, puisqu’elles vivaient, en ce qui concerne ce littoral-là, du commerce du sel. Il n’avait pas été totalement arrêté mais avait subi de graves interruptions. Ces grandes abbayes ont alors passé la main en termes de domination seigneuriale. Une seigneurie laïque a pris le relais à partir du XVe siècle. Elle était beaucoup plus dispersée, aussi impécunieuse que rapace, et elle va jouer avec une sorte de dispersion des forces, chacun jouant sa carte.

Cela va accélérer le phénomène de fermeture du havre car on sait que cette seigneurie laïque a eu plutôt tendance à mettre en œuvre des modalités qui se rapprochaient de ce qu’on appellerait aujourd’hui des zones franches : elle voulait attirer des colons, attirer des personnes qui installeraient des salines. Pour cela, elle leur faisait des propositions alléchantes qu’on appellerait aujourd’hui des baux emphytéotiques. Ce qui explique pourquoi les salines qui datent du XVe et du XVIe siècle portent encore les noms de tenanciers qui étaient pratiquement seigneurs même s’ils n’étaient pas nobles. Ils étaient maîtres chez eux et ne devaient de redevances à personne mais assuraient la production du sel sur le commerce à partir duquel la seigneurie officielle prélevait des droits. Si vous voulez, on allégeait les charges sur le foncier pour reporter l’essentiel de la fiscalité sur le commerce… Alors ça a fonctionné plutôt bien mais le deuxième coup d’arrêt est venu avec les guerres de Religion.

4 Naissance de la ville et atterrissement
de Brouage au XVIe siècle

Les guerres de Religion interrompirent ou gênèrent à nouveau le commerce du sel. Elles commenceront en 1562 avec le massacre de Wassy en Lorraine. Mais quelques années auparavant il y a eu une nouveauté ici. Le seigneur Jacques de Pons, seigneur laïc positionné sur la partie sud du Havre de Brouage, vers Marennes, s’était emparé d’un îlot dont on peut supposer - parce qu’il y a eu des sondages géologiques réalisés dans les années quatre-vingt-dix - qu’il était un gros dépôt de lest à l’entrée du Havre de Brouage, là où est la citadelle aujourd’hui. Ce serait donc un îlot artificiel dont l’engraissement par la vase aurait été hâté par l’amoncellement de sables et de caillasses venant des pays clients du sel.

Jacques de Pons s’était emparé de cet îlot et on a même une description un peu littéraire faite par Agrippa d’Aubigné qui écrit qu’il aura fait amener des brouettes de fumier mais on ne voit pas trop comment cela pourrait être possible. Toujours est-il qu’il a créé un lotissement sur cet îlot artificiel : il quadrille, installe, aplanit et essaye d’encourager l’installation des marchands de sel qui sont encore largement positionnés dans les villages autour du havre, à Hiers, à Saint-Sornin, à Saint-Jean d’Angle, à Saint-Agnant ou encore à Moëze. Les marchands étaient installés tout autour du havre de Brouage. Ils ont donné leurs noms aux prises des salines. C’était souvent les cadets de famille qui s’investissaient dans l’installation des marais salants.

Tout l’enjeu du travail de Jacques de Pons fut d’attirer ces gens-là ici. Donc à nouveau une politique de zone franche et de facilités commerciales. L’idée était de créer un pôle commercial qui puisse à la fois favoriser le commerce et servir de lieu de contrôle pour ce même commerce. Prélever les taxes à la Tour de Broue, au fond du havre, était devenu difficile au fur et à mesure que s’éloignait la zone de navigation. Jacques de Pons a essayé de lancer son lotissement vers 1555 et l’intervalle fut très court jusqu’aux premières guerres de Religion, quatre ou cinq ans. En fait, ce lotissement a démarré sous de mauvais auspices car le commerce du sel ne fut pas du tout favorisé par cette période de guerre qui va s’étendre jusqu’en 1598.

Une nouvelle étape est advenue avec la militarisation du lieu alors qu’auparavant on était plutôt sur de la fiscalité, de la modification d’environnement et de la production. Le site était intéressant car il y avait quand même du sel un peu partout et c’était une monnaie d’échange formidable pour celui qui s’en emparait au temps des guerres de Religion, il pouvait faire du business avec. À l’époque, les navires étaient à la fois des navires corsaires, marchands et pêcheurs. C’était une modalité de commerce moins régulière mais qui intéressait tout de même les belligérants. Brouage sera prise et reprise par les catholiques et les protestants. C’est d’ailleurs en 1588 - l’époque d’Henri III et de la deuxième moitié des guerres de Religion - que la monarchie va racheter à Jacques de Pons le site de Brouage.

C’est à ce moment-là que les Rochelais, hostiles à la monarchie catholique, vont intervenir. Ils vont remorquer des rafiots en déshérence et les couler à l’entrée du havre encore très large à l’époque. Ils ont créé de nouveaux obstacles qui ont évidemment joué un rôle dans le comblement de ce havre. La militarisation à l’époque d’Henri III, après 1588, voit l’installation d’une garnison à Brouage et l’envoi d’un ingénieur italien qui va créer un premier rempart qui est plutôt un rempart médiéval. Un superbe document conservé au Public Record Office à Londres, réalisé par des Anglais à l’époque où ils venaient ici pour acheter du sel, nous montre ce qu’était Brouage : une place forte carrée avec des tours rondes autour, bref, un château médiéval.

L’objectif de la militarisation était d’empêcher le camp protestant de mettre la main sur le sel dont la production ne fonctionnait pas à plein régime mais fonctionnait quand même car elle donnait la possibilité de continuer à faire du commerce en temps de guerre. Nous avions changé d’époque et il y avait l’ouverture atlantique depuis le début du XVIe siècle. Elle a permis le maintien de l’activité commerciale puisqu’on allait pêcher la morue à Terre-Neuve et, une fois que l’on avait quitté les eaux européennes, les guerres de Religion n’étaient plus un problème. Nous ne sommes plus durant la guerre de Cent Ans où le conflit était européen et où on avait du mal à maintenir un semblant de commerce. Même gêné, il y avait du commerce.

La monarchie s’était installée ici pour empêcher les protestants de mettre la main sur le commerce du sel, sachant tout de même que le pays au sud du havre de Brouage restait protestant. À Marennes, la population était à 80 % protestante, autant à Oléron et presque 100 % à Arvert de l’autre côté de la Seudre. Il y avait une grande nécessité d’empêcher les protestants de s’emparer du havre de Brouage et de son sel pour l’ouvrir à leurs alliés Anglais ou Hollandais. C’était l’époque où la Hollande était en lutte pour son indépendance et contre les Habsbourg de Madrid. Nous étions ici au cœur d’un échiquier européen !

Sur le plan environnemental, les choses se sont gâtées. Même si on a continué à faire tourner les salines, il y a eu des phénomènes d’envasement et des déprises, notamment dans le fond du havre. C’est très net, les navires n’y allaient plus. Au début du XVIIe siècle, on ne faisait plus de sel au-delà de ce rideau qui signale la route entre Marennes et Rochefort, là, ce rideau d'arbres que l’on voit. Tout simplement parce que les bateaux ne pouvaient plus y aller. Au début du XVIIe siècle, le phénomène qui consiste à souder les îles avec la terre ferme affecte même Brouage. Désormais, la place forte, par sa partie sud, est soudée à l'île d’Hiers, elle-même soudée à l’île de Marennes.

L'eau ne rentrait plus que par la partie nord du Havre de Brouage qui au début du XVIIe siècle continuait à faire 500 à 600 m de large. Sous les murs nord de Brouage, le ruisseau ostréicole que vous avez traversé était le lit du chenal. C’est l’époque de Champlain, d’Henri IV, l’époque où les Bourbons se sont emparés de la couronne, je parle comme si j’étais un partisan des Valois, mais ils se sont emparés de la couronne, ils ont hérité de celle-ci, ils étaient légitimes à la tenir. Ils ont relancé la question de la colonisation en Amérique du Nord. Brouage va donc être une base parmi d’autres, comme Dieppe, Saint-Malo ou Royan.

Où la monarchie allait, elle ne mettait pas d’argent car elle n’en avait pas ! Mais en revanche, elle octroyait des privilèges à des entrepreneurs qui partaient, qui avaient acheté des privilèges un peu bidon parce qu’une fois de l’autre côté de l’Atlantique il fallait pouvoir les faire vivre. Il y avait beaucoup de gens qui partaient en étant amiraux de la Nouvelle France ! Cela ne coûtait pas cher à la monarchie et lui rapportait. Il y avait des compagnies de pêche où les gens étaient concessionnaires de 400 km de côtes en Acadie. Il est bien évident qu’ils allaient faire de la pêche en Acadie mais sans contrôler les 400 km. Le règne d’Henri IV fut une période d’effervescence et ce fut aussi l’enfance de Samuel Champlain. En 1604 Champlain fit sa première traversée pour aller en Amérique du Nord.

5 Samuel Champlain (début du XVIIe siècle)

On a retrouvé l’acte de baptême de Champlain il y a quelques années au temple Saint-Yon de La Rochelle. Pourtant, il ne s’est jamais présenté comme rochelais. Cet acte de baptême date de 1576, époque où les catholiques avaient mis la main sur Brouage. On présume que la famille Champlain s’était réfugiée à La Rochelle où il serait né ou baptisé. La polémique qui a suivi cette découverte est à présent close. J’ai vu l’acte. L’enfant dont on a retrouvé l’acte de baptême au temple de Saint-Yon, s’appelle Samuel Chapeleau. Mais tous les prénoms des gens qui sont autour de lui, le parrain, etc., sont les bons prénoms. Même si un petit doute subsiste, enfin… Oui, c’est un généalogiste du nord de la Vienne qui, consultant les registres de baptême du temple est tombé là-dessus et il a creusé pour voir la généalogie de Champlain. Voilà c’est le bon, mais la famille est appelée Chapeleau sur le registre de baptême du temple. N’étant pas spécialiste de la paléographie du XVIe siècle, je l’ai donné à l’aveugle à deux collègues. J’ai demandé « qu’est-ce que vous lisez », je voulais connaître les noms et les prénoms.

Mais Samuel Champlain a grandi ici, on en est sûr. Son oncle, Guillaume Allène, courait les mers en offrant ses services au plus offrant dont la monarchie espagnole. Champlain est allé à Cadix avec lui par exemple. Il a fait un apprentissage théorique car une école de géographie s’était installée ici. Il a croisé des marins et s’est embarqué avec des gens qui traficotaient avec les Espagnols. Il a eu une jeunesse très formatrice car de grands capitaines ayant laissé une trace dans l’histoire se sont croisés à Brouage. Ce qui fait que Brouage est en lien avec la Nouvelle France, c’est l’enfance de Champlain. Lorsqu’il quitta Brouage pour s’installer au Québec, il avait trois maisons à Brouage : sa famille était une famille de la bourgeoisie et il reviendra au cours de ses nombreux voyages pour vendre ses maisons. Les expéditions auxquelles il aura participé ne sont pas parties d’ici mais de Dieppe ou de Royan. Il faut le dire avec les limites dues à l’histoire maritime : une expédition peut partir de Royan avec des navires qui sont passés par ici pour récupérer des marins, des vivres, des choses comme cela, c’est fort probable. Nous ne sommes pas assez documentés pour le dire. La célébrité de Brouage, c’est que Champlain se dit de Brouage toute sa vie. Quand il signe ou quand il parle de lui, c’est le Sieur Samuel Champlain de Brouage.

6 Par la volonté de Richelieu (XVIIe siècle)

Le site que l’on a actuellement sous les yeux date du règne de Louis XIII et du ministère de Richelieu. Ce dernier relance la politique maritime et coloniale du royaume de France et veut faire de Brouage la base opérationnelle de cette politique. Il y fera un arsenal et un port en y mettant les moyens. Il fera creuser toute la partie à l’est des remparts, il fera recreuser dans la vase de manière à la connecter avec le chenal d’accès au nord des remparts. Il créera des bâtiments comme la tonnellerie. Cette tonnellerie était reliée au port souterrain. Ce port souterrain permettait de traverser le rempart, d’armer et de désarmer les navires au mouillage sous les murs. Intense activité, pour des raisons maritimes, coloniales, mais aussi politiques puisque c’était l’époque où Brouage servait de base arrière pour le grand siège de La Rochelle en 1627 / 1628.

C’est aussi l’époque où Richelieu fera fortifier par l’ingénieur Pierre d’Argencourt la citadelle de Brouage et celle du château d'Oléron qui est en face, de l’autre côté du Coureau d’Oléron. Pierre d’Argencourt va léguer à la citadelle de Brouage son architecture que l’on retrouve à Oléron, c’est-à-dire un rempart en pierre calcaire et un couronnement en brique destiné à encaisser les impacts de l’artillerie ennemie. La brique n’éclate pas et ne risque donc pas, comme la pierre, d’envoyer des éclats qui vont blesser les défenseurs de la citadelle. La militarisation telle que nous la connaissons date donc de Richelieu. C’était une période assez faste pour la production de sel mais aussi le chant du cygne de ce commerce car désormais ce havre est très réduit.

Richelieu avait beaucoup d’ambition. Brouage ne cessait de croître et de prospérer : c’était une ville de 4 000 ou 5 000 habitants, au début du XVIIe siècle, traversée par d’illustres voyageurs. Dans les mémoires du suisse Thomas Platter (publiées par Emmanuel Le Roy Ladurie dans les années 1970), il a raconté ce qu’il a vu à Brouage : un manège où les gens apprenaient à monter à cheval, une salle de jeu de paume, un hôpital, cette fameuse glacière servant à stocker l’hiver de la glace qu’on allait chercher sur les chenaux pour pouvoir faire des sorbets l’été. C’était une vraie petite ville avec des administrations royales, la fameuse école de géographie qui a formé Champlain et le Gouvernement de Brouage. Gouvernement de Brouage signifie que vous aviez un gouverneur qui était un grand officier de la couronne. Il gouvernait aussi la paroisse de Brouage, c’est-à-dire grosso modo ce que l’on a sous les yeux. Mais c’était tout de même un gouverneur. Il y avait aussi un amiral à Brouage, donc le siège de la justice maritime royale pour toute la Saintonge, entre la Charente et la Gironde plus l’île d’Oléron.

C’était une capitale administrative, royale, avec de grands officiers, le commerce du sel et la flotte royale. Tout cela va être prolongé sous Mazarin avec un peu moins de lustre parce que c’était la guerre contre l’Espagne et une période de difficultés financières, la fronde aussi. Là où il y avait du volontarisme et des moyens à l’époque de Richelieu, on a essayé de le prolonger mais la vase revient vite. L’histoire de Brouage, c’est la vase.

Il y avait de tout à l’intérieur de Brouage. Les sauniers étaient sur les îles : à Hiers, toute proche de Brouage, et également à Moëze dont on voit le clocher là-bas, mais aussi à Brouage, tout comme des charpentiers, des marins, des militaires… Sur le fameux document dont je vous parlais tout à l’heure, on voit un Saunier sortir de Brouage avec son petit rouable sur l’épaule. On a l’impression d’un croquis de Blanche Neige où on verrait les nains partir au travail.

L’hôpital date de la grande période de Brouage, c’est-à-dire jusqu’à l’époque de Mazarin. Lorsque l’on traverse Brouage, l’office du tourisme a remis cela en lumière et on y parle de Marie Mancini. Elle était une Mazarinette, une nièce de Mazarin. C’étaient des filles fort riches et leur oncle était la première fortune de France à l’époque. Il les avait richement dotées. On dit que Marie Mancini a été exilée à Brouage car Louis XIV en était tombé amoureux. C’est exact. Mazarin ne tenait pas à être coupable ou responsable d’une mésalliance royale. On fait pleurer beaucoup les gens sur cette pauvrette au milieu des ronces. Non, lorsqu’elle vient là, Brouage est encore une ville et son oncle en est le gouverneur. Elle est évidemment reçue comme une princesse, on l’a en quelque sorte mise au vert en fait. Mais ce n’est pas Brouage d’aujourd’hui avec 80 habitants l’hiver, vieillissants, non il y a tout le confort de l’époque.

À partir de la fin du XVIe siècle, toutes les taxes sur les salines sont prélevées ici. Les règlements d’urbanisme concernant la ville stipulaient qu’il fallait remblayer avant de construire dans Brouage. C’était l’idée de rehausser l’îlot artificiel malgré les remparts car on ne sait jamais : Il fallait donc ajouter quelques centimètres avant de bâtir. Cela ressemblait un peu à un plan de prévention des risques avec ses prescriptions. Sébastien Périsse, un historien qui a soutenu une thèse sur la Saintonge au XVe et XVIe siècle, a retrouvé ce texte faisant obligation aux gens voulant bâtir dans Brouage de surélever en apportant du remblai. Le sentiment d’être là où se trouvait la mer autrefois était encore présent. Ça paraissait évident.

Allons voir le port souterrain. Du côté est, la mer ne viendra plus et on ne fera plus de sel. J’exagère un tout petit peu. Il y a une enquête, à la fin du règne de Louis XIV, réalisée sur l’ensemble du territoire national par un inspecteur qui s’appelle Bouthillier. Il est allé à Oléron, en Seudre et à Brouage. Sur le havre de Brouage, il a constaté qu’au début du XVIIIe siècle quelques salines continuent à fonctionner entre Hiers et Brouage. Elles étaient en revanche beaucoup plus nombreuses entre l'île d’Hiers et l'île de Marennes, là où on a un chenal qui s’appelait le chenal de l’épine et qui est devenu le chenal de Mérignac. Au XVIIe siècle, l’histoire de la production du sel s’est achevée ici.

Après, c’est devenu ça. On retrouve des mentions dans des inventaires après décès de troupeaux de moutons plus que tout autre chose au XVIIe et XVIIIe siècle. Au XIXe siècle, on retrouvera du bovin et des chevaux du fait de la remilitarisation avec les garnisons de Saintes et de Rochefort qui auront besoin de chevaux dont on fera ici l’élevage.

Jamais Brouage n’aura eu à subir de siège. Le seul épisode militaire restera l’attaque des Rochelais venant à l’entrée du havre de Brouage pour couler des rafiots afin de fermer tout simplement ce havre aux flottes royales. La seule attaque du système défensif de l’estuaire de la Charente fut en 1757, pendant la guerre de Sept Ans. Les Anglais ont débarqué sur l’île d’Aix, ont tout saccagé, fait des autodafés car ils étaient protestants. Ils ont rembarqué après avoir tout ravagé…

Il faut remarquer que la fleur de lys sculptée sur un certain nombre de guérites est une aberration historique. En effet, la construction de Brouage c’est Richelieu. Nous avions donc à Brouage les armes du cardinal et non la fleur de lys. Lorsqu’il y a eu les premiers travaux de restauration dans les années 1930, les tailleurs de pierre ont dû trouver cela joli.

7 Un port souterrain

On va maintenant se diriger vers la porte située dans ce qui ressemble à un terrier de lapins pour entrer dans le port souterrain. Mais d’abord, nous passons devant la poudrière de la Brèche. Il y a plusieurs poudrières à l’intérieur de la citadelle, il y en a une à l’angle sud-ouest, il y a celle-ci et puis il y en a une à l’entrée nord. Ça date de l’époque où Brouage n’était déjà plus un port. Dorénavant, qui dit poudrière dit artillerie. La vocation de Brouage va changer à partir du moment où les navires de guerre ne pourront plus y accéder et elle va devenir une place d’artillerie. L’argument militaire de cette reconversion est que l’accès à la citadelle est devenu difficile et qu’un coup de main pour s’emparer des canons et de la poudre est improbable. Sous le règne de Louis XIV, la citadelle sera un coffre-fort à munitions et à artillerie. Il n’est plus question de prélever de taxe sur le sel ici et les belles administrations dont je parlais tout à l’heure vont progressivement quitter Brouage. Il n’y avait plus d’intérêt à être ici. Elles vont se disperser entre Marennes et Rochefort essentiellement.

Marennes n’avais jamais été jusqu’alors une ville. Sans rempart, ce n’était pas un point d’appui assez sûr. Aussi loin que nous puissions la documenter, Marennes ne fut pas une ville fermée. Elle deviendra une ville administrative à partir du moment où l’espace national aura été sanctuarisé et que ce territoire sera protégé par un réseau de fortifications à la Vauban très en avant dans la mer des pertuis. Et ça, c’est le règne de Louis XIV. Le bâtiment qui est juste derrière est la tonnellerie bâtie à l’époque de Richelieu, là, juste derrière le terre-plein. C’est un endroit où on organise le conditionnement des vivres, de la farine, des poissons salés ou séchés, du lard, etc. Tout ce qui est nécessaire à la navigation et au ravitaillement de la flotte. En prise directe avec cette plate-forme logistique va-t-on dire, il y a ce passage dans le rempart.

L’infrastructure est extrêmement modeste. Il faut imaginer qu’à l’époque de Richelieu et de Mazarin, la seule chose qui existait là était un petit quai avec de part et d’autre la mer qui entrait et sortait. Qu’est-ce que c’est que ce port souterrain ? C’était un endroit où venaient accoster des barques allant ensuite transborder des barriques, des tonneaux, des sacs, tout ce dont on avait besoin, également la poudre et les boulets vers les navires qui eux, étaient au mouillage, là, sous les remparts.

Richelieu avait fait creuser le port pour abriter quelques navires de guerre. Le problème de ses aménagements vient avec la Régence puis sous le ministère de Mazarin, avant le règne personnel de Louis XIV. Après quelques dizaines d’années, 25 à 30 ans, au cours desquelles on a vécu sur l’héritage de Richelieu, il n’y a plus eu de nouveaux investissements ni de nouveaux aménagements. L’envasement progressif s’est révélé très problématique au moment où Louis XIV allait prendre le pouvoir. Son ministre à tout faire, Jean-Baptiste Colbert, et lui vont faire le constat que si la France veut rivaliser sur la mer avec les grandes puissances de l’époque qui sont les Provinces unies, la Hollande et l’Angleterre, il fallait se doter d’un outil naval, de navires qui sont sans commune mesure avec ceux qui étaient utilisés durant la première moitié du XVIIe siècle : il fallait des navires de guerre spécialisés et surtout arrêter de bricoler comme au XVIe siècle avec des navires de pêche que l’on pouvait désarmer et transformer en navires de commerce, puis en y mettant une vingtaine de canons les considérer comme des navires de guerre de la flotte royale. C’était terminé : il fallait une flotte de guerre dédiée et pour ce faire une base navale.

8 L’éclipse liée à la création de Rochefort (XVIIe siècle)

Nous n’étions pas dépourvus de base navale en France : Brest va être réactivée de manière importante, Toulon fera l’objet d’énormément de travaux également. Mais Louis XIV a relancé une nouvelle fois la colonisation de l’Amérique du Nord et des Antilles, puisque nous avions mis la main sur les Antilles à l’époque de Richelieu, avec la volonté de les administrer à l’instar de ce qui se fait dans des provinces françaises. Dans les Antilles, on bricolait aussi. Pour les défendre contre les Anglais on avait loué les services des boucaniers, des forbans, au moment où les guerres étaient enclenchées contre les Hollandais et les Anglais. Le gouverneur des Antilles faisait venir les frères de la côte et leur disait « Voilà, Sa Majesté dans sa grande bonté a décidé de donner tant, qui est prêt à prendre le contrat de défense des îles du vent et des îles sous le vent ? ». Et c’est comme ça que cela se passait.

Évidemment, à l’époque de Louis XIV, il fallait rompre avec ces pratiques-là et se doter d’un outil naval, d’une flotte avec des vaisseaux de guerre, des équipages professionnels, des frégates qui font 150 hommes d’équipage… Voilà c’était terminé pour Brouage qui s’avérait totalement inadaptée car le tirant d’eau nécessaire pour ce type de navire n’était plus du tout disponible dans Le Havre de Brouage. Il était hors de question de faire entrer le Soleil royal que l’on avait en prévision de construction sous les murs de Brouage. Il aurait pu rentrer mais y serait resté.

L’idée était donc de trouver un autre site. Des inspections dans les années 1660 ont permis d’ausculter la Seudre, La Tremblade, Chaillevette et les rives de la Charente. L’endroit qui plaisait le mieux aux administrateurs du roi était Soubise sur la Charente. Sauf que Soubise, rien qu’en prononçant le nom, on s’attaquait à une famille princière. Ils étaient ducs et pairs, cela aurait pu être compliqué de leur arracher l’autorisation d’installer sur leur terre un port royal : ce qui signifiait l’achat de leur fief et ce n’était pas possible. Un autre port sur la Charente était très pratique et déjà existant, c'était Tonnay-Charente. Cependant, ce sont les seigneurs de Mortemart qui étaient les seigneurs de Tonnay-Charente. Là encore, ils étaient ducs et pairs, et puis il ne fallait pas trop les exciter car c’étaient des familles qui au début du XVIIe siècle étaient protestantes et qui s’étaient rangées alors ce n’était pas la peine de relancer de vieilles querelles.

Entre les deux, un petit seigneur qui s’appelait le Sieur de Cheusse, avait acquis ses titres de noblesse à l’époque d’Henri IV. Il était premier gentilhomme de la garde-robe du roi, et, il n’avait pas vraiment d’appui à la cour. Colbert va s’occuper de son cas et trouver un vice de procédure dans la manière dont il a été anobli. Du coup, il fut exproprié purement et simplement. Le roi mit la main sur la terre de Rochefort et ce fut le début de l’histoire de Rochefort qui correspondit à la fin de l’histoire de Brouage. Toutes les administrations militaires quittèrent Brouage pour Rochefort. L’amirauté, donc la justice maritime, fut transportée à Marennes. Le commerce du sel se tenait désormais à Marennes pour la Seudre et Oléron. Tout ce qui faisait le dynamisme de Brouage quitte progressivement la citadelle. Il y avait presque 2 000 habitants à Brouage au début du règne de Louis XIV et 500 à la fin de son règne, une division par quatre. Brouage devint une bourgade agricole, avec des gens qui entretenaient plus ou moins les bâtiments publics et qui les recyclaient. La carrière maritime et commerciale de Brouage était définitivement terminée.

9 Vauban redonne une vocation inattendue à
la citadelle avant son déclin (fin du XVIIe siècle)

Une autre carrière allait commencer par la venue de Vauban. Il trouva le site intéressant pour en faire une plate-forme d’artillerie : un endroit où stocker des canons et de la poudre. C’était relativement éloigné et difficile pour l’ennemi de venir ici piller les ressources royales. Il s’empara de Brouage en artilleur. Il eut aussi l’idée de relancer le commerce du sel avec de grands projets pour verser une partie des eaux de la Seudre dans le fond du Havre de Brouage par un canal parce qu’il y a des points bas, appelés « pas », entre les îles de Marennes.

Il avait l’idée de creuser un canal pour essayer de remplir le fond du Havre et de relancer toute la mécanique hydraulique par des effets de chasse. Cela ne se fera pas même s’il y a eu des travaux commencés au début des années 1680 qui se sont terminés pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688 à 1697). L’entrepreneur avait empoché les avances du roi et finalement tout est resté sur place, les outils et les matériaux. lui s’était évaporé. Que fit Vauban dans la deuxième moitié du règne de Louis XIV ? Il mit à exécution son projet : permettre l’installation de lourds canons sur le haut du rempart, ce qui n’existait pas auparavant. Il va organiser l’installation des fameux terre-pleins sur lesquels on montait et descendait les pièces d’artillerie, inexistants à l’époque de Richelieu. Tout autour du rempart, il fit planter des ormes - qui n’existent plus aujourd’hui car atteints par la graphiose - de manière à empêcher un ennemi potentiel d’avoir en ligne de mire le clocher de Brouage et de manière à dissimuler les éventuels tirs de défense derrière un rideau d’arbres.

Le site de Brouage est totalement réaménagé en changeant sa vocation et dédié à l’exercice de l’artillerie. Les gars s’y exerçaient à envoyer des boulets de canon dans la campagne tout autour. C’était tellement pratique. On mettait une cible, aller trop long, trop court, voilà. Ce fut la vocation de Brouage au cours du XVIIIe siècle. Il ne s’y passera plus grand-chose.

À l’époque où Vauban a transformé la citadelle pour en faire une place d’artillerie, il y avait un ouvrage à cornes dans la partie sud, un truc immense aujourd’hui disparu et qui était relié à la citadelle. Là, je ne suis pas un grand spécialiste de l'architecture militaire, vous voyez une courtine entre les deux bastions et, à l’avant, une demi-lune. Cela a une logique puisque cette partie-là a été la première prise par la terre. Vauban a fait un ouvrage à cornes sur la partie sud, la demi-lune sur la partie ouest mais aucune autre défense avancée puisque les autres faces étaient encore bordées par la mer.

Avec la révolution, Brouage est devenue une prison pour les prêtres qui seront emprisonnés dans l’ancien palais du gouverneur. Il y a encore de nos jours un pèlerinage annuel. Après cette histoire de prêtres déportés, début XIXe siècle, sous l’Empire, rien, il n’y avait plus ici que 200 habitants. Cela a encore décliné au milieu du XIXe siècle, et il nous reste le témoignage saisissant de Victor Hugo traversant Brouage en plein été : il décrivit des habitants malades de la fièvre des marais, des fantômes grelottants devant les maisons. Sa maîtresse, Juliette Drouet, écrivit avoir vu des soldats dans la canicule. À l’époque, c’était le terme employé pour dire qu’ils avaient de la fièvre, « on a vu les soldats qui sont dans la canicule et qui attendent des ambulances pour les emmener à Rochefort ». C’était deux visions de la même chose qui ne sont pas décrites de la même manière. Voilà pour la deuxième époque de Brouage.

Aujourd’hui, nous sommes dans la troisième époque parce qu’il y a ici de nouveau une forme de vie. Traversons pour nous rendre dans l’angle nord-ouest de la place forte, où nous allons regarder le paysage du côté océan parce que c’est là que vont se passer les transformations du paysage dans le courant du XIXe siècle. Puisque Brouage avait été abandonnée à son triste sort, l’envasement continua et le trait de côte s’éloigna alors même que le havre se réduisait à la dimension de ce que l’on voit aujourd’hui, c’est-à-dire un vulgaire chenal pour les ostréiculteurs.

Le commerce du bois sur le littoral Saintongeais, au sud de la Charente, était essentiellement un commerce de bois de chauffage, de l’intérieur des terres à destination du littoral. Il n’y avait pas de bois sur le littoral. Le paysage actuel avec des boisements assez importants et dans les îles les fameuses forêts domaniales n’existait pas à l’époque. Sur la carte du début du XVIIIe siècle du géographe de Louis XIV, Claude Masse, quelques petits boisements étaient repérés mais c’est ridicule. Il l’écrivit lui-même dans les cahiers de doléances des paroisses littorales. Un siècle plus tard, c’était encore largement évoqué, il n’y avait pas de bois.

Je vous ai parlé de l’inspecteur Bouthillier qui avait fait l’inspection des marais salants à la fin du règne de Louis XIV. Il n’était pas idiot, il l’a fait en barque, a remonté les canaux à marée montante et au reflux qu’il redescendait et à la marée suivante il faisait un autre chenal. Son enquête sur les salines est tellement précise que l’on pourrait en établir des cartes. Je l’ai fait dépouiller par des étudiants, tout Oléron en table Excel. L’enquête peut être calée sur le cadastre napoléonien, ici c’est à peu près entre 1810 et 1830 pour les pages qui nous intéressent, donc on est pratiquement dans le jeu de l’enquête de 1730. La toponymie était parfois liée à des particularités topographiques comme la butte, la branche plate. Mais il y a surtout les toponymes des noms de famille lorsqu’il s’agit d’une zone aménagée fin XVe, XVIe et XVIIe siècle.

Là, il y avait un passage d'eau, il y avait un bac. D’ailleurs, ce qui est drôle, c’est que dans les archives, on découvre que ce sont les femmes qui conduisent les bacs. Bon, vous savez que la couronne de France a toujours eu des difficultés pour constituer des équipages de ses flottes de guerre ou de commerce, donc on n’utilisait pas de la bonne main-d’œuvre de matelots pour les bacs et les femmes avaient le monopole. On le sait car lorsque les administrateurs du roi se déplaçaient, ils supportaient très mal d’être houspillés par des femmes qui leur disaient « tasse toi là ». Ils se plaignaient qu’elles soient insultantes.

10 Une mutation économique au XIXe siècle
avec l’ostréiculture

Dès la fin du XVIIIe siècle, la mer ne venait plus sous les murs nord de Brouage. Elle s’éloigna progressivement pour gagner le lit du chenal qui correspond aujourd’hui à l'alignement des claires de part et d’autre du chenal ostréicole. Un chemin sera aménagé pour aller jusqu’à la mer là-bas, et vous voyez au milieu du marais une espèce de bâtiments en tuiles orange qui était le bâtiment de la douane. Ce sera le dernier bâtiment destiné à prélever les taxes sur le commerce du sel que l’on continuait à faire de manière très limitée le long du chenal. Mais cela était devenu résiduel au lendemain des guerres napoléoniennes. Les salines n’étaient plus entretenues et elles se sont envasées. Le blocus continental décrété par Napoléon n’était pas du tout favorable au commerce du sel.

Et puis il y avait des raisons historiques puisque au début du XIXe siècle, la région va pâtir de la concurrence des salines espagnoles et portugaises que les Anglais et leurs alliés du nord de la Baltique préféreront durant les guerres Napoléoniennes. Ils s’étaient habitués à aller chercher leur sel à Setubal ou Aveiro et il n’était plus question de venir ici. Le gouvernement français avait mis en œuvre une législation plaçant sous monopole national la production du sel pour fournir les navires de pêche à la morue. Mais en 1830, avec l’arrivée de Louis Philippe qui était une monarchie de nature plutôt libérale, ce fut la fin de cette législation qui réservait aux producteurs de sel français la fourniture des navires de pêche. Puis, dans les années 1850, les débuts du chemin de fer vont permettre la commercialisation du sel des mines de l’est de la France. De la même manière, les salines du Midi avaient désormais une production plus accessible grâce au chemin de fer. Tout cela va concourir à l’écroulement progressif de ce qui restait des vestiges de l’industrie du sel avec une prise de relais dans cette région de la Saintonge maritime par une nouvelle production.

La production des huîtres était une vieille industrie locale puisque sous Louis XIV on pêchait des huîtres, on les affinait l’hiver dans les bassins des salines étant donné qu'on ne faisait pas de sel à cette saison. C’était un moyen pour les sauniers de rentabiliser la saison creuse. C’était une consommation aristocratique qui s’était développée sachant que les huîtres se transportent bien l’hiver, arrimées dans des conteneurs en osier. Au XIXe siècle, cette production va prendre un tour plus industriel. Au lendemain de la Révolution française et de l’Empire, il était plus facile de transporter des marchandises sur de longues distances : il n’y avait plus de douanes intérieures comme il y en avait sous l’ancien régime entre provinces. Progressivement, la production des huîtres va prendre de l’importance avec le réemploi des espaces dédiés au sel. En gros, les sauniers se sont dit « moi je ne produis plus de sel mais je pêche des huîtres pour les élever dans mes bassins ». Il y a eu un basculement qui est très net.

Ce ne sont pas les mêmes bassins qui sont utilisés mais des bassins recreusés. Vous avez 15 cm d’eau dans la partie centrale du marais salant : vous mettez des huîtres là-dedans et c’est fini vu la température qui y règne. On va donc recreuser tout cela tout en réutilisant le fonctionnement hydraulique et notamment l’association entre les chenaux, les prises d’eau, tout un vocabulaire, ce qu’on appelle les varaignes qui sont des milliers d’écluses permettant l’entrée de l’eau dans les bassins, dans les marais. Ce paysage va connaître une mutation importante. Les dernières salines sont recyclées. Et puis, comme il y a de gros besoins, on va créer des claires, on aménage de nouveaux bassins en remuant la valve comme on le faisait dès le XVe siècle, voire dès le XIIe siècle, pour faire des marais salants, mais cette fois-ci pour faire des claires ostréicoles.

L’influence maritime s’est maintenue au moins sur les franges du havre et le basculement s’opère au cours du XIXe siècle. On continua à faire de l’élevage, en changeant un petit peu d’espèces parce que les marchés avaient changé, en passant des ovins aux bovins et aux chevaux puis il y eut la montée en puissance de l’ostréiculture. Je vous parle d’ostréiculture mais jusqu’à présent je ne vous avais parlé que de pêche puisqu’il va falloir attendre les années 1860 / 1870 pour commencer à collecter les jeunes huîtres et ensuite les enlever de leurs supports à mesure qu’elles grossissaient. Jusqu’en 1860, on se contentait d’aller pêcher des huîtres dans la mer des Pertuis puis de les rapporter ici pour les élever dans des bassins d’élevage.

11 Et la conquête des terres sur la mer reprend (XIXe siècle)

Dans les mêmes années, une nouvelle dynamique de colonisation des terres sur la mer s’opère. Là, vous visualisez très bien, en regardant en direction du château d’Oléron, toute une bande au plus près du littoral qui n’a pas cette topographie de bosses, de trous et de canaux : c’est une gigantesque cuvette, un polder. Les années 1830 / 1840 ont vu l’aménagement de ce genre d’équipements agricoles. Le polder se caractérise par une digue à la mer, puis un réseau collecteur qui fait le tour de l’espace cultivé et qui est géré par une hydraulique beaucoup plus simple que le marais salant ou la claire puisqu’il s’agit uniquement de faire sortir l’eau sans jamais la laisser entrer. Elle n’y entre que de manière accidentelle comme chacun le sait. Nous sommes en Saintonge et ces polders portent le nom de « tanne ». C’est vraiment le terme constitué pour l'île d’Oléron et Brouage et il ne se retrouve pas ailleurs. La « matte » est autre chose puisqu’il s’agit de la zone humide qui va être drainée pour pouvoir la cultiver mais qui n’est pas forcément littorale. Ce terme de matte renvoie aussi à quelque chose de riche, qui va rapporter beaucoup.

Ces tannes, pourquoi sont-elles faites au XIXe siècle et pourquoi n’avait-on pas eu l’idée d’en faire avant ? C’est tout simplement parce que la législation a changé sous Napoléon Ier et plus précisément en 1807. La nouvelle loi permettait à des particuliers ou à des sociétés de particuliers de mettre en valeur des vasières sous la forme de polders avec une simple autorisation de l’administration des Ponts et Chaussées. Après obtention de l’autorisation administrative, vous mettiez en œuvre votre endiguement et vous pouviez cultiver à l’arrière. À l’époque, il n’y a pas d’engrais chimiques et les tannes donnaient des rendements quatre à cinq fois supérieurs aux terres anciennement cultivées sur les plateaux calcaires ou ailleurs. Donc c’était quelque chose de très couru par les bourgeois du littoral qui avaient un certain intérêt à faire de la valeur ajoutée. La loi de 1807 est éclairante : elle dit en substance qu’on vous donne l’autorisation d’endiguer pour cultiver mais le jour où votre digue se casse la figure et que la mer reprend ses droits, l'administration considère que cela revient au domaine public maritime. Donc c’est une concession précaire bien que de longue durée qui est liée essentiellement au droit d’usage. Si le droit d’usage n’est plus assumé par le propriétaire, ce n’est pas grave, cela redevient du domaine public maritime.

Cette législation est toujours en vigueur mais on ne l’applique pas. Pourtant ça résoudrait quelque part bien des questions posées par Xynthia, notamment dans des endroits où des polders ont été noyés. En ce qui concerne les espaces soumis au régime de la loi de 1807, les choses ne sont pas du tout équivoques : le concessionnaire a juste un droit lié à l’entretien de la digue et si la digue n’est plus entretenue… Cela redevient du domaine public maritime. D’ailleurs, n’est-ce pas ce qui se passe lorsqu’il y a des expériences de dépoldérisation comme celle du Conservatoire du littoral à Mortagne-sur-Gironde ? C’est exactement ça. Ça redevient une vasière, une zone riche pour l’écosystème, une frayère et tout ce que vous voulez.

Tout ce que vous voyez à l’horizon, c'est l’Île d’Oléron : la pointe des Saumonards avec la forêt que l’on devine au-dessus du cordon dunaire et puis là le château d’Oléron. La pointe sud de l'île est dissimulée par l’Île d’Hiers. Là, on aperçoit l’Île Madame qui est dans l’estuaire de la Charente. Il y a donc eu un petit regain d’activité vers la fin du XIXe siècle lié à l’ostréiculture. Nous arrivons au tout début du XXe siècle. Alors que la citadelle était descendue à 80 habitants au milieu du XIXe siècle, elle revenait à 150 ou 200 habitants grâce au nouveau moteur économique de l’ostréiculture dans un village qui était en pleine déprise.

12 Le Terme (XIXe siècle)

Charles Esprit Le Terme fut sous-préfet à Marennes au lendemain du Premier Empire, donc de la chute de Napoléon. Il constata que ses administrés n’étaient pas en grande forme. Tous les étés, ils étaient dans la canicule comme je le disais. Il constata que le taux de mortalité infantile était à peu près le même qu’en Guyane… Dans les marais, il y avait un taux de mortalité incroyable pour les nourrissons. Étant instruit, il comprit la relation que cela pouvait avoir avec l’hydraulique des marais laissée à l’abandon. Plus personne ne s’occupait de fermer et d’ouvrir les pelles et cela avait entraîné un retour au marécage. Il suffisait de remettre en route le système hydraulique en curant tout simplement les fossés et en ouvrant et fermant à nouveau les pelles lorsqu’il y en a besoin.

Le Terme s’est appuyé sur la loi de 1807, mais sur un autre article, qui permet à l’État de forcer la constitution de syndicats des exploitants des marais, les ancêtres des associations syndicales autorisées (ASA). Donc, il força les propriétaires à se regrouper et cotiser pour payer des éclusiers et réaliser des chantiers de curage des fossés. Nous sommes dans les années 1830. Le moins que l’on puisse dire c’est que cela n’a pas porté ses fruits avant 20 à 30 ans puisque au milieu des années 1840, Victor Hugo constata encore de gros problèmes sanitaires. Mais c’est lui qui mit l’accent sur ces questions-là et aujourd’hui l’ensemble des marais sous nos yeux sont gérés par ce régime-là. Pourquoi cela a pu se faire dans les années qui suivirent l’Empire ? Nous étions tout simplement à la fin d’un cycle commencé à la Révolution française. Après la confiscation des terrains aux seigneurs - et la plupart des marais était effectivement administrés par des seigneurs - s’en suivit d’une vente à la découpe : c’est ce qui fut appelé la vente des biens nationaux et en vendant à la découpe, on n’avait pas vendu l’hydraulique, on s’était désintéressé à la gestion collective.

Et donc dans les années 1820, on se rendit compte que cela avait été une erreur. La preuve puisque tous les fossés étaient bouchés, les moustiques et les ronces, les vipères et tutti quanti s’étaient approprié les lieux. Il fallut en quelque sorte relancer la mécanique. Puisqu’il n’y avait plus de seigneurie, il fallait forcer la constitution de syndicats de copropriétaires pour qu’ils s’occupent de ça. Aujourd’hui, cela fonctionne encore comme ça, avec pour ces syndicats de copropriétaires des enjeux importants puisqu’ils doivent arbitrer entre eux. Les chasseurs veulent plus d’eau dans leurs mares pour que les canards viennent s’y poser, les agriculteurs veulent que leurs champs soient drainés pour que leurs semis puissent y pousser correctement, les ostréiculteurs ont besoin d’eau douce à certains moments de l’année pour que les huîtres puissent se reproduire convenablement… Eh bien les syndicats sont au milieu de tout cela.

13 Brouage et son marais au XXe siècle

Beaucoup de monuments de Brouage ont fait l’objet de restauration à partir du milieu des années 1980. Mais là, on passe devant un bâtiment qui était immense à l’époque : c’était l’hôpital au XVIIe siècle. Ce n’est plus aujourd’hui qu’un mur qui clôture une propriété privée.

Brouage est tombée dans l’oubli au XXe siècle en raison de questions environnementales, des questions d’évolution de l’environnement et notamment de la navigabilité autour de la citadelle. À partir du moment où on ne pouvait plus y accéder par bateau, l’intérêt d’un site soutenu par la puissance publique était beaucoup moindre. Alors comment a-t-on commencé à s’y réintéresser ? Dans un premier temps, ce fut complètement exogène. Les Canadiens sont les premiers à avoir redécouvert Brouage. Des sociétés philanthropiques venues au début du XXe siècle ont par exemple édifié un monument commémoratif en face de l’église pour rappeler que Samuel Champlain était né ici. Ensuite, dans les années 1980, le département de la Charente-Maritime cherchait à diversifier l’offre touristique au-delà du seul développement balnéaire. Dans ce cadre-là, Brouage devenait intéressante. Cette volonté politique locale a rencontré l’intérêt également des autorités provinciales canadiennes. Des échanges de part et d’autre de l’Atlantique ont eu lieu jusqu’à la constitution d’un dossier de reconnaissance du périmètre ; d’abord de la citadelle, puis de l’ensemble du marais de Brouage, sous la domination de grand site. Ça, c’est la fin des années quatre-vingt avec la création d’un syndicat mixte. Disons que la volonté était moins patrimoniale que de développement touristique.

La croissance de l’ostréiculture s’affaiblit aujourd’hui d'année en année. Il y a eu de nombreuses tentatives pour diversifier les élevages à l’intérieur des marais ostréicoles avec des gambas, la salicorne, etc., mais la déprise ostréicole est un problème contemporain. L’activité a connu une forme de concentration sur un pas de temps court, comme ce qui s’est passé dans l’agriculture, et connaît maintenant la même évolution que cette dernière.

Il faut expliquer le chassé-croisé qu’il y a eu entre le marais poitevin et le marais de Brouage. Les directives européennes imposaient aux différents pays de ce qui était à l’époque la communauté de faire basculer un tiers de leurs linéaires côtiers dans des dispositifs de protection de type Natura 2000. Le marais de Brouage n’en faisait pas partie contrairement au marais poitevin. Le marais poitevin a été déclassé parce que la grande agriculture céréalière s’est imposée et que la culture du peuplier s’est emparée du marais mouillé. Le marais poitevin a perdu en quelque sorte son label, et il a fallu trouver un site de remplacement. L’agriculture extensive avait commencé à grignoter le marais de Brouage, mais cela s’est vite arrêté car la zone Natura 2000 est arrivée là, les SNIEF et les ZICO pour les oiseaux et les fleurs, les papillons, les lézards et que sais-je encore, voilà, le millefeuille.

Il y a une pratique ici qui est la chasse à la tonne, une chasse à l’affût semi-enterré. C’est une chasse traditionnelle et qui s'est embourgeoisée ces 10 ou 15 dernières années. Désormais ce sont des gens qui ont les moyens qui font ça. Ces gens-là n’avaient pas trop envie qu’on leur bouscule le paysage avec la grande agriculture céréalière. On pouvait donc compter sur eux pour clairement soutenir le projet. Les ostréiculteurs étaient déjà en butte avec des problèmes de qualité de l’eau. Au tout début ils étaient d’accord aussi pour ces protections en refusant les nitrates et l’eutrophisation des eaux. Et là-dessus, il y avait aussi toute la mouvance environnementale avec la Ligue de protection des oiseaux, donc il y a eu une espèce d’association curieuse qui a permis de créer un attelage improbable qui allait des ornithologues aux chasseurs et aux ostréiculteurs pour geler le truc.

J’étais jeune professeur d’histoire géographie à l’époque. J’avais fait une visite de terrain avec mes élèves durant laquelle le maire de Moëze, qui était céréalier, avait posé la question « pourquoi voulez-vous qu’on ne continue pas à faire évoluer le Marais alors qu’il a toujours été créé de la main de l’homme ? ». C’était son discours et ça a cartonné sec au début des années 1990. Ensuite, ce millefeuille s’est installé. Les tensions entre les chasseurs et la Ligue de protection des oiseaux ont commencé : les perchoirs de cigogne sciés à la tronçonneuse, les oiseaux protégés abattus à la chevrotine, etc. Il y a eu un moment une sorte d’état de grâce qui explique pourquoi cela s’est arrêté net parce que les céréaliers étaient dans un corner, seuls contre tous.

D’autres marais se sont fait massacrer, notamment la petite Flandre, la pointe entre Muron et Rochefort. Cela s’appelait la petite Flandre et ça avait été mis en valeur au lendemain de l’installation de l’Arsenal à Rochefort puisqu’il fallait nourrir 20 000 habitants et donc on avait drainé les marais. C’est une autre histoire, ce marais au nord de Rochefort, avec la création ex nihilo de paroisses au milieu de l’ancien marécage. Une église, un cimetière et la paroisse était le semis de ce qui s’appelait des cabanes, c’est-à-dire des fermes dispersées dans ce paysage nouvellement aménagé. Aujourd’hui ces paroisses n’existent plus. C’est drôle de voir que l’on avait un maillage administratif et religieux sous l’ancien régime qui a disparu pour se replier sur les villages qui existaient auparavant.

14 Xynthia comme révélateur de la nature du lieu

L’impact de la tempête Xynthia est assez clair dans ce paysage-là puisque la mer est entrée partout ! Elle est entrée dans les champs de maïs au nord qui sont en fait une prise récente, des années 1990, une recréation totale du paysage, là où il n’y avait que quelques tannes et d’anciens marais salants. Toute la zone a été aplanie et drainée. Donc bien évidemment la mer est entrée là lors de la tempête. Elle est même entrée dans le paysage plus ancien en partie sud pour s’arrêter au niveau de la route que vous avez empruntée en venant de Soubise et Moëze. Cette route-là a servi de point d’arrêt à la submersion.

C’est intéressant de constater que toute la partie datant du XVIIe siècle a été préservée. Tout simplement parce que cette route est une sorte de route digue qui ne dit pas son nom. À l’intérieur de la citadelle, il n’y a pas eu d’eau. Sans doute que l’ancêtre du plan de prévention des risques, que l’on évoquait tout à l’heure, a joué son rôle. La mer n’est pas entrée, elle n’est pas allée plus loin.

Xynthia nous enseigne que la réversibilité du paysage pourrait se calquer sur la manière dont il s’est construit. Nous pourrions exploiter une rétro chronologie si l’on va par là, d'où l’intérêt de bien connaître l’histoire. Il est important de se positionner pour le siècle qui vient car, même si la submersion ne sera pas systématique, on peut s’attendre à ce qu’elle revienne plus fréquemment. Le trait de côte du début du règne de Louis XIV n’est peut-être pas un mauvais indicateur de la manière dont les choses pourraient se passer. À ceci près que dans le marais de Brouage les enjeux sont faibles étant donné qu’il n’y a pas d’habitations.

Les seuls enjeux qui ont fait grincer pas mal de dents sont ces champs d’agriculture céréalière qui ont été servis en premier en termes de réhabilitation des digues pour des raisons plutôt politiques. Les propriétaires sont proches d’élus de la République et cela a peut-être facilité un peu les choses. Pour le reste, la problématique est relativement simple puisque les enjeux le sont aussi. On ne peut donc pas dire que le havre de Brouage soit une zone vulnérable à la submersion. Les installations ostréicoles y sont habituées de façon récurrente. Par grandes marées ou forts coefficients, on met tout ce qui craint sur les étagères des cabanes ostréicoles et on attend que ça passe. C’est vrai ici, c’est vrai sur Oléron, c’est vrai dans la Seudre.

Reste l’ensemble de l’avant-côte qui a été aménagé dans le courant du XIXe siècle et le rôle de tampon qu’elle a joué au moment de Xynthia. Cette avant-côte est prête à rejouer ce rôle de façon systématique. Les études de modélisation ont mis en évidence, et nous l’avons vérifié sur place, que plus la submersion dispose d’un espace large pour s'étendre et plus elle aura tendance à le faire lentement et avec une amplitude faible. On l’a constaté aussi dans la Seudre où le bourg de l'Éguille a juste eu les pieds dans l’eau avec quelques centimètres dans les habitations. Le fait qu’il y ait de l’espace, de la surface, est un facteur d’atténuation de la hauteur que l’on va expérimenter.

Nous pourrions être assez facilement un territoire d’expérimentation à la réserve près que les terres les plus proches de la côte sont celles qui ont été appropriées par la grande agriculture céréalière. Pour le coup, ce sont les seuls enjeux économiques.

15 Les enseignements de l’évènement (XXIe siècle)

J’aime beaucoup la période actuelle en tant qu’historien. Je suis en train de comprendre pourquoi il y a eu plein de submersions avant et pourquoi on les a oubliées. C’est d’autant plus passionnant.

J’ai participé aux deux procès Xynthia. Le premier en tant que témoin, cité par les parties civiles et puis le deuxième en tant que spectateur. Le procès en appel m’a quand même vraiment donné le sentiment, même si cela fait un peu antisystème, d’une petite élite qui ouvre largement le parapluie. En première instance le maire de La Faute a été condamné à de la prison ferme mais voilà maintenant c’est bon, l'inéligibilité sera largement suffisante. Donc je suis assez inquiet.

Dans cette affaire-là, il faut tenir compte de la mobilité des individus. Dire la règle ou la rappeler, ce n’est pas forcément permettre son appropriation. Pour que cela passe par l’appropriation, il faut de la médiation, il faut varier les discours et les approches parce que les publics vont être différemment sensibles. La problématique principale du littoral est cette forme d’évaporation et de condensation de la population qui est permanente. Des habitants vendent, d’autres meurent, ils meurent plus sur le littoral qu’ailleurs, non pas parce que le climat est plus mauvais mais parce qu’ils sont plus vieux qu’ailleurs, et toute cette mobilité participe de la vulnérabilité de l’ensemble du dispositif.

Lorsqu’on me pose des questions, on me demande souvent le temps entre chaque événement de submersion. Ça dépend, entre trois mois et 60 ans. Entre novembre 1940 et février 1941, trois mois. C’est l’intervalle le plus court que l’on ait sur les cinq derniers siècles entre deux événements. Et alors, c’était pendant la Seconde Guerre mondiale, les gens avaient beau avoir les pieds dans l’eau, ce n’était pas grand-chose par rapport au reste des malheurs qui leur tombaient sur la tête.

Xynthia fut un événement dont les effets préfigurent peut-être les effets du changement climatique. C’est aussi un événement comme on en a connu d’autres. Cette tempête a surtout pointé du doigt la manière dont certains territoires ont volontairement désorganisés leur défense face à la mer en ne prenant pas garde à l’héritage et aux aménagements anciens, en les dénaturant ou en les transformant. Ils sont parfois devenus vulnérables au moment de la tempête Xynthia, en abdiquant tout l’héritage ce qui avait été fait auparavant face à la mer. Certains ont même fait n’importe quoi.

Ce sont deux choses différentes pour moi. Il n’y a que l’histoire qui peut permettre de discriminer ces deux positions. La dimension prospective, je la vois aussi là-dedans : quels sont les sites sur lesquels on peut faire quelque chose en revenant sur certaines bêtises qui ont été faites et quels sont les sites pour lesquels on a vraiment fait n’importe quoi. Typiquement construire au fond d’un polder, ça, ce n’est pas réversible du tout !

Considérer un village dans lequel la tache urbaine s’est limitée aux zones topographiques normalement hors d’eau ou dont les protections étaient ruinées par 50 ans d’incurie, ce n’est pas tout à fait la même chose. Ceux qui vont siffler la fin de la partie, ce sont les assureurs parce que leur métier c’est le risque, et la certitude des dégâts qui vont arriver n’en fait pas partie. À partir du moment où il y aura une certitude de la récurrente des risques, ce sont eux qui vont bouger. Eux, ils assurent un risque et non la certitude d’un sinistre.

À ma connaissance, ce système assurance n’a pas existé par le passé. C’est quelque chose de très contemporain, issu des années d’après-guerre. Avant on prenait le risque à titre personnel. Une thèse a été soutenue par Audrey Aviotti, ingénieure des Ponts et Chaussées, sur les modalités de la protection individuelle du bâti. Dans les années 1930, il y a eu une forte croissance démographique et des dispositifs réglementaires voient le jour pour obliger, lorsque l’on est par exemple en zones inondables ou submersibles, à construire de manière surélevée. Cela explique qu'avec Xynthia, on s’est retrouvé avec des maisons dans des quartiers balnéaires relativement anciens, première moitié du XXe siècle, dont seules les parties caves ou soutes à charbon avaient été submergées. C’étaient des maisons avec un perron qui répondait à une réglementation des années trente.

Malheureusement, on a tout mélangé au lendemain de la tempête Xynthia et raisonné par périmètres. Certaines maisons comme celles-là se sont retrouvées dans des zones de solidarité où les maisons ont été rachetées alors qu’en fait leurs habitants n’ont eu que leur plancher de mouillé, parce qu’il y a souvent des planchers dans ces maisons. L’inondation aura duré une heure, grand maximum et puis est partie. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on a standardisé la construction avec le pavillon individuel de plain-pied. Après on entre dans une période où il n’y a plus de réglementation et où le marché fait que le bâtisseur devient quelqu’un de routinier. Entre les années 1960 et 80, il y a une forme de standardisation par le fait des vendeurs de matériaux, des centrales à béton, du parpaing, etc. C’est un modèle économique qui banalise les choses et ne s’adapte plus aux réalités du terrain.

Pour terminer là-dessus, la grosse différence reste l’habitant. Dans la cabane ostréicole, le gars sait que par marée de 110, avec une dépression et tout, il n’a pas besoin qu’on lui dise ce qu’il doit faire. Il nous arriverait la même prévision météo qu’en 2010, la population n’ayant pas tellement changé, les gens s’affoleraient. En dépit des programmes d’aménagement et de prévention des inondations et d’un tas de trucs comme ça, on ne peut pas dire que l’on ait mis un coup d’accélérateur sur la formation des habitants en bord de mer. On pourrait appeler cela la culture du risque. Donc, on enclenche à nouveau un cycle. Les municipalités de bord de mer bataillent beaucoup aujourd’hui pour obtenir un certain nombre d’aménagements de défense côtière. Les plans de prévention des risques naturels entraîneront peut-être une obligation d’information du futur acquéreur, etc., mais je suis de plus en plus sûr que personne n’ira raconter à un nouvel acquéreur ce qui s’est passé en 2010. On s’achemine sur un retour au statu quo ante !

16 Se réapproprier le marais de l’intérieur (XXIe siècle)

Une chose que je trouve personnellement intéressante depuis quatre ou cinq ans vient du monde des sports de glisse. Ils se sont emparés des chenaux de navigation dans les marais pour en permettre la découverte en stand-up paddle. C’est très saisonnier mais ça se développe. Est-ce que cela va être une solution ? En tout cas c’est un levier pour permettre à des gens, qui passent et qui regardent ce paysage sans rien en comprendre, de se le réapproprier de l’intérieur. J’ai été contacté à plusieurs reprises par ces sportifs qui disent « bon, je vais promener des gens au milieu des marais, qu’est-ce que je vais leur raconter ? ». Ils ont besoin d’un petit arrière-plan, de quelques lectures de vulgarisation : il y a là une forme de réappropriation totalement inédite.

En comparaison, la Venise verte est un paysage social dont l’appropriation du chemin d’eau était largement répandue dans la société du marais poitevin parce que les derniers agriculteurs étaient les grands-parents ou les parents. Les jeunes ont toujours utilisé la barque pour mettre des pièges à anguilles ou pour aller à la pêche à la ligne. L’idée est très vite venue de dire « ce que l’on fait pour nous, on pourrait le faire de manière payante pour les autres ». Il n’y a pas eu d’interruption d’usage. Ici, dans le marais de Brouage, c’est différent parce que c’est une nouvelle modalité d’appropriation. Ce ne sont pas des gens en lien avec l’ostréiculture qui souhaitent offrir ce service à des touristes mais des surfeurs, des « voileux », qui pensent qu’il y a là un filon.

C’est assez drôle quand je regarde le paysage car je le vois avec mon regard d’historien et évidemment je pense à plein de choses, c’est une gymnastique intellectuelle à laquelle je suis habitué depuis des années, dans ce paysage-là et dans plein d’autres. Quand je traverse maintenant n’importe quel paysage, je pense à ça. Ce qui est marrant, c’est que les gens qui ont basculé dans cette activité de découverte des marais ont adopté ce réflexe-là. C’est-à-dire que lorsqu’ils traversent le marais avec les gens qui se promènent, ils sont capables de parler du marais salant puis du marais ostréicole et ils ne s’adressent pas qu’à moi. Ils connaissent des naturalistes, donc ils vont parler de ce que l’on pouvait herboriser par exemple. Il y a une vraie forme d’appropriation, de patrimoine immatériel qui est en train de se reconstituer progressivement, c’est très intéressant.

À partir du moment où on partage avec les visiteurs un grand nombre d’informations sur ce paysage-là, ça peut influencer un moment donné la personne qui va avoir une idée géniale. Dans son vécu, il y a autre chose qui va l’amener à se dire que ce qu’il faisait mal ou pas bien dans sa montagne ou dans le Massif central, là, peut-être qu’il pourra le développer. En tout cas, c’est plus simple que se gratter la tête en se disant « oh, qu’est-ce que je vais faire ». Est-ce que cela va déboucher sur quelque chose ? On n’en sait rien, mais il y a là un vecteur de médiation qui est assez intéressant. Bon, il ne faut pas se perdre parce que c’est flux et reflux. Le dédale de fossés est tel que peut-être on viendra vous chercher avec un hélicoptère si vous vous perdez car il ne faut pas oublier que ce sont des paysages dans lesquels les protestants se sont réfugiés du temps des persécutions. Eux connaissaient cela par cœur alors que les soldats du roi n’y allaient pas. Le seul moyen d’y entrer et d’en sortir, c’est en fait la voie d’eau.

17 « Voice or exit »

La vision prospective de ce marais, telle que je l’imagine, repose sur deux éléments importants. Le premier consiste à regarder les virages dans les modes de développement et les activités qui ont fait ou transformé ces territoires-là. Lorsque ce territoire est passé de la production du sel à la production des huîtres, deux activités qui n’avaient pas grand-chose à voir, nous sommes en droit nous demander qui procéda à ça. En fait, l’étude fine montre que les choses se sont faites de manière progressive et qu’il y a une forme de continuité. Ce sont bien les mêmes acteurs ou les mêmes familles qui sont impliqués. Si vision prospective il peut y avoir, c’est peut-être dans ce domaine-là, en se disant que les acteurs d’aujourd’hui doivent être invités à s’approprier les nouvelles modalités et à les explorer eux-mêmes.

Les économistes ont des mots un peu techniques pour dire cela. Ils disent « Voice or exit ». Nous devons nous situer plutôt sur Voice, c’est-à-dire nous approprier le problème et devenir les principaux acteurs de la solution. Dans l’histoire de la mer des pertuis, une succession de crises a été surmontée par l’aspect Voice, c’est-à-dire que je m’exprime, je prends la parole, je prends le pouvoir et je passe de la pêche à la morue au commerce colonial et du commerce colonial au commerce du sel et ainsi de suite, en intégrant parfois des choses qui viennent à l’extérieur.

Le second élément relève de la connaissance de la manière dont ces territoires se sont bâtis face à la mer, le puzzle et le jeu de rôle qui, dans l’histoire, ont contribué à leur création. C’est une manière d’envisager comment ils feront face aux effets attendus du changement climatique. Comment peut-on, par exemple, arriver à discriminer les terres qui sont historiquement défendables de celles gagnées récemment sur la mer et que nous allons avoir du mal à défendre, même avec beaucoup de moyens.

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