Regardez, ce bois-là est brûlé. Ces bois ont été datés : ils ont entre 9 000 et 10 000 ans avant l’actuel. Sur cet endroit, vous voyez, il est bien brûlé. L’hypothèse des archéologues serait qu’un grand incendie ait eu lieu à cette époque-là. On ne sait pas quelle en a été la cause, s’il fut anthropique ou naturel, ça peut être la foudre par exemple. La forêt de cette époque a brûlé de manière très nette alors qu’elle contenait une densité d'arbres très importante. Ce n’était pas la dune sèche comme maintenant, mais une grande forêt. Au fur et à mesure de mes visites sur cette formation, je suis de plus en plus convaincue par l’hypothèse d’un alass : le dégagement de méthane qui pourrait générer du feu. Nous débattons entre scientifiques en émettant diverses hypothèses de formation de cette structure qui est complètement circulaire.
Les bois qui cernent le site, regardez, donnent presque l’impression de former une palissade car ils sont tous inclinés, on a l’impression qu'ils s’enfoncent comme une palissade. Cette structure peut être naturellement obtenue comme avec ce qui se passe dans le permafrost sibérien. Sous l’effet du réchauffement global, le permafrost fond et des poches de méthane explosent littéralement pour former des structures géomorphologiques appelées alass. Le terme d’Alaska vient d’ailleurs de là. Cela forme des alass circulaires et avec des arbres qui s’alignent sur le pourtour de ces dépressions. On a l’impression d’une météorite tombée et non d’un volcan parce que cela fait un creux sans cône. Ici, ça pourrait correspondre à ça et comme le méthane s’enflamme au contact de l’oxygène dès qu’il arrive dans l'air, cela expliquerait le fait que les bois soient brûlés. Cette formation circulaire ressemble vraiment à celles qui se forment autour des grands fleuves arctiques dans les zones sibérienne et canadienne.
Mais nous nous battons encore dans nos hypothèses géologiques car du calcaire affleure un peu plus loin, et ce calcaire sous l’effet de la karstification, donc de l’érosion, forme des grottes, des dépressions, des trous, et là nous aurions peut-être une structure que l’on appelle une doline, qui est en fait une grotte effondrée. Or, dans ce genre de structures là, avec la nappe phréatique qui arrive, l’eau remonte naturellement par le biais de ces exécutoires, des « espèces de puits ». Durant toute la période où ce site a été visible, il y avait certainement une résurgence d’eau.
Au centre, ce sont des tranchées, celles des fouilles menées en 2014. Aujourd’hui, on peut monter sur le site car la mer a fait son travail de dégagement. Au départ, on fouillait dans la dune, et petit à petit la mer a dégagé le front avant. Il faut imaginer la dune beaucoup plus loin vers la mer il y a quelques décennies. Lorsque nous avons commencé à fouiller, nous creusions à 2,50 m de profondeur. Comme un mois reste court pour faire des fouilles, des tranchées ont été faites à la pelleteuse pour voir tout ce qu’il y avait en profondeur. Tout cela a été décapé mais il me reste une base iconographique fabuleuse : il y avait par exemple au sommet un arbre entier qui était couché avec sa litière, on a retrouvé les troncs, les racines, et la litière de feuilles complètement préservées car piégées dans l’argile et dans la tourbe. La particularité du site est d’être très riche en matière organique. La couleur noire que vous voyez est liée à cette matière organique car, comme le pétrole apparaît noir, la matière organique est noire lorsqu’elle se préserve.
Là, ces bois sont anthropiques ; ce sont des déchets que les hommes ont laissés, posés ou jetés. Une dendrologue de l’université de Limoges travaille sur cette question. On en a collecté une cinquantaine et ils ont tous une trace de l’utilisation de l’homme : soit coupés, soit écorcés. Là, à cet endroit précis, on a trouvé un premier gros panier qui est maintenant traité pour sa conservation à Grenoble. C’est une structure de 1,50 m de diamètre avec une double paroi de tressage : un objet magnifique. On pense que c’était pour la saumure étant donné la grande quantité d’ossements trouvés aux alentours du panier. Or, ces ossements sont tous travaillés : l’homme a cassé l’os, prit la moelle, raclé l’os. En pure hypothèse, ce secteur-là a pu être un atelier de salage de la viande. Donc ils mettaient la viande dans ces paniers et avec le battement des marées, puisque le site était déjà dans une zone estuarienne, les paniers se remplissaient à marée haute, puis décantaient. Les paniers étaient peut-être isolés de manière à ce que la viande se dessèche, se décante et se sale naturellement. Voilà nos hypothèses de travail !
Toute une équipe travaille à fond là-dessus. Des archéologues, des spécialistes de tout ce qui est traitement, industrie de la viande au néolithique ; des gens qui travaillent sur les tessons. Ce site est d’une grande richesse : c’est un livre quasi complet mais qui s’en va progressivement à l’eau.