Itinérance sur une paléoîle du marais poitevin
(Chaillé-les-Marais, Vendée) avec Éric Chaumillon, géologue

Le 17 février 2017

Itinérance sur une ancienne Île du golfe des Pictons. Une visite dans le temps de 195 millions d’années en arrière mais aussi tournée vers demain.

L’itinérance commence au pied de l’ancienne île, au sud,
et longe ses falaises mortes vers l’ouest.

1 Une compétition entre la mer et les sédiments

J’ai fait pas mal de travaux de recherche sur le marais poitevin mais il reste encore beaucoup d’inconnues dans le comblement du golfe des Pictons.

La grande question est de savoir à partir de quand la mer a commencé à gagner sur la terre, le début de ce que nous appelons en géologie la régression, puisqu’ici nous sommes dans un territoire qui est le produit de deux grands phénomènes. D’abord une chute du niveau de la mer (il y en a eu plusieurs d’ailleurs) a creusé la dépression du marais poitevin. Puis la mer est revenue durant les derniers millénaires, le dernier bas niveau marin se situe il y a 20 000 ans. La remontée rapide du niveau de la mer s’est faite de -20 000 à -6 500 et depuis la mer monte doucement, environ un millimètre par an.

En parallèle, une sédimentation s’est opérée parce que nous sommes dans un golfe abrité. Tant les vagues que la marée ont eu tendance à amener des sédiments qui ne sont plus repartis. Une compétition s’est opérée entre l’élévation du niveau des mers et les apports sédimentaires. Lorsque la mer monte rapidement, elle gagne et c’est ce qu’on appelle une transgression où la mer gagne sur la terre. Dès l’instant où la mer monte moins vite, ce sont les apports sédimentaires qui l’emportent. Et c’est ce qui s’est passé.

En revanche, la transition est très mal connue. C’est un beau sujet puisque cela a à voir avec ce qui se passe aujourd’hui. Aujourd’hui, la mer remonte à nouveau et accélère. Nous sommes passés d’un à trois millimètres par an. La grande question est de savoir si les apports sédimentaires vont être capables d’absorber cette montée ou est-ce que nous sommes repartis pour une transgression. Au-delà du côté académique de comprendre comment ça fonctionne, il y a un intérêt par rapport au questionnement de la société actuelle.

2 Du pendage géologique à la mémoire
des sédiments

Nous recherchons la mémoire environnementale contenue dans les sédiments. Cette mémoire va être trouvée dans des zones où existe une préservation sédimentaire. Les sédiments sont en particulier préservés dans les paléovallées comblées. Notre idée a donc été de faire des carottes là où il y a des vallées. Je me suis rendu compte que la vallée principale n’était souvent pas la meilleure et ce sont souvent les vallées satellites les plus intéressantes car il y a eu moins d’érosion par les courants de marées. Nous avons de bonnes chances d’y trouver une bonne mémoire environnementale.

Ici, nous sommes sur le rebord nord du bassin aquitain. Ce bassin subside vers le sud, cela fait comme un empilement d’assiettes avec des couches qui ont un pendage, une pente vers le sud. Les couches sont empilées comme cela, toc, toc, toc, toc. Des alternances de couches dures et de couches tendres expriment les changements environnementaux du Jurassique, au Callovien, il y a 180 millions d’années. C’est du calcaire marin peu profond. Le Callovien, et plus généralement tout le Jurassique moyen, présente une paléoécologie peu profonde.

À cette époque, le massif armoricain et le massif central formaient des îles. La mer la plus profonde n’était pas l’Atlantique. En effet, l’Amérique et l’Europe étaient encore soudées. La mer profonde est donc de l’autre côté, à l’emplacement des Alpes et de l’Himalaya actuelle : elle s’appelait la Téthys et arrivait de l’est. Elle transgressait et régressait selon les variations du niveau de la mer. Nous nous trouvions ici dans un archipel, dans une eau peu profonde, une tranche d’eau de 10 à 0 m. Mer peu profonde donc, beaucoup de crocodiles, des crocodiles marins, des grosses bêtes, beaucoup d’ammonites aussi et des dinosaures sur les paléoîles. On a retrouvé dans le Massif central des Ptérosaures, des reptiles volants qui occupaient la niche écologique des oiseaux actuels : c’était cela le paysage de l’époque.

Ces couches géologiques sont inclinées avec un pendage sud, il en existe des dures et des tendres. Puis l’érosion a fait son travail. Elle a davantage décapé les tendres que les dures, ce qui fait une alternance de points hauts et de points bas. Là, nous sommes sur une couche dure entre deux couches plus tendres qui font les dépressions de part et d’autre. Cela a formé les îles. Si on regarde vers le sud, il faut imaginer que ces couches pendent dans cette direction.

3 En longeant l’ancien rivage

4 Mer, marées et vagues anciennes

Le niveau de référence des altitude en France est le 0 NGF. Comme vous le savez, c'est le niveau moyen de la mer à Marseille en 1850. La mer a monté depuis 1850. Déjà le niveau zéro, le niveau des mers de 1850, est plus bas que le niveau des mers d’aujourd’hui. En plus le niveau moyen de la mer à Marseille n’est pas le même que le niveau moyen de la mer ici (en Vendée). Le niveau moyen n’est pas tellement pertinent dans cet environnement-là.

Ici, si nous sommes à + 2 m NGF, si je le convertis en altitudes côtes marines, on est à 1 m, 1,5 m en dessous des plus hautes mers. Enfin quand je dis ici, c'est en bas de la paléoîle. C’est très spectaculaire. S’il n'y avait aucune digue, aucun chenal, rien du tout, c'est évident que la mer viendrait jusqu’ici.

À une période, les sédiments étaient inexistants autour de l'île, le fond marin était plus bas. Mais à un moment donné, la sédimentation s'est installée : c'étaient alors des prés-salés que la mer venait certainement inonder de manière sporadique. Il devait y avoir des nappes d'eau plus ou moins permanentes, très peu profondes et qui rendaient ce territoire inutilisable pour l'agriculture, très délicates aussi pour le transport. Il suffisait de creuser des canaux pour capter l'eau et pour assécher ces terres.

Il y a eu un double processus. Un processus naturel a comblé la dépression de sédiments, essentiellement des vases, parce qu'on est dans un environnement abrité, et puis une fois cette sédimentation opérée, l'homme l’a asséché. Mais ce n'est pas l'homme qui a apporté des sédiments : ils sont venus naturellement.

Ils s’arrêtent devant un mur qui délimite le chemin en crête de falaise.

Regardez ces vieux murs… C'est assez monotone dans ce marais parce qu’il n'y a pas de cailloux en dehors des anciennes îles. Forcément on est allé prendre les cailloux de l’île pour faire les murs. Du coup la lithologie est constante. La lithologie est variée dans certaines régions de France. On se retrouve alors avec des murs des cailloux de toute nature. Là, aucun fleuve ne les a transportés. Ils ont été directement découpés dans la falaise.

5 Des paléoîles

D'ailleurs, je me suis déjà fait avoir au Rocher de La Dive qui est très spectaculaire. Les falaises du Rocher de La Dive sont aussi des fronts de taille de pierre et ce n'est plus l'érosion de mer qui est visible. Comme le front de taille est ancien, il est altéré ; on peut alors se faire avoir. On peut regarder la falaise en se disant que c'est la mer qui a fait ça. Au début c'était la mer puis après c'était l’homme pour extraire des matériaux de construction.

Le découpage vertical de la pierre est dû à l'homme tandis que le découpage horizontal est hérité de la roche elle-même. L'épaisseur des cailloux est dictée par la nature. D’ailleurs, ce litage en mamelon me fait penser à l'action des vagues. Il faudrait que je regarde cela d'un peu plus près mais il est probable que ce soit l'héritage de l'enregistrement de l'action des vagues.

Ici, on dit que ce sont des anciennes îles, il existe des récits historiques, blablabla, mais on ne trouve aucunes cartes. Les cartes les plus anciennes sont des cartes de 1500, 1600. Nous les avons beaucoup regardées lorsque nous avons travaillé sur les problématiques littorales côtières. Ces cartes arrivent à une époque où le golfe est déjà comblé. On ne trouvera jamais de cartes – à moins que ce soit une reconstitution à partir d’écrits – qui montrent Chaillé-les-Marais comme une île.

6 Percevoir la variabilité climatique

Un jour on m'a offert un bouquin écrit par un agriculteur des Deux-Sèvres. Le gars a rassemblé tout sur les catastrophes survenues dans la région Poitou-Charentes. En fait, ce qui lui plaisait, c'était le côté catastrophique, voilà, ça plaît beaucoup aux gens. C'est alors une espèce d’agglomérat ; mais en le lisant je me disais qu’on pouvait y percevoir la variabilité climatique des mille dernières années, et nous, on travaille là-dessus.

J'en ai parlé à un de mes étudiants qui était doué en traitement de données. Il a numérisé toutes les observations et a reconstitué une variabilité climatique à partir des événements du bouquin. Elle s’est avérée cohérente avec les reconstitutions climatiques qui existent dans la littérature scientifique, qui ont été faites à partir de sédiments en particulier, quelquefois à partir de l’histoire comme avec les travaux de Le Roy Ladurie à partir des écrits de la vigne.

Je lui dis : « Clément, c'est génial ! » et il présente ça à un congrès international ; ça plaît aux gens et je lui dis que nous allons le publier. Les historiens me répondent que ce n'est pas sérieux car l’auteur du livre n'était pas un chercheur. On a donc travaillé avec des historiens sur les submersions. Je n'ai pas eu l'impression que le travail fut extrêmement différent mais l’étude a pu être validée par un collègue et être publiée.

Ce n’étaient pas des hypothèses puisque le gars n’interprétait pas. Il a écrit un catalogue en énonçant que tel évènement s’était passé en telle année, tel autre en telle année… Nous avions « plotter » ces évènements sur un graphique et on s’est aperçu que des cycles correspondaient à ce qu'on connaît du climat en termes d’humidité, de sécheresse, de température, de coup de vent, et cætera : le petit âge de glace très froid, l'optimum climatique médiéval plus chaud, le réchauffement actuel, ça, on le voit, et avec des crises en particulier pendant la Révolution française, une crise climatique très spectaculaire, voilà.

Avec ce type d’étude, nous arrivons à reconstituer un petit peu les événements climatiques passés même si les descriptions historiques sont bien souvent biaisées par l'intérêt que les contemporains portaient aux évènements. Les chroniqueurs de l’époque n'en parlaient que s’ils y trouvaient un intérêt. Les gens qui voulaient se faire rembourser – même si à l'époque il n'y avait pas les assurances et l'état de catastrophe naturelle – forcissaient les conséquences d’une catastrophe. Sachant de toute manière qu'ils n'auraient pas beaucoup d'argent, ils étaient capables d'amplifier un peu la catastrophe. Les historiens ont bien démontré ce biais. Nous, nous observons une augmentation de submersion au cours de l’histoire. Et c'est clair que ce n’est pas une évolution naturelle du climat mais bien un artefact lié au fait que nous sommes de plus en plus documentés.

Nous disons souvent aux étudiants que la sédimentologie, c'est comme si vous aviez un enregistreur sur lequel vous appuyez sur le bouton Pause 90 % du temps et sur Record les 10 % du temps restant. Et encore je suis gentil mais c'est comme cela qu'on reconstitue l'histoire de la planète.

7 Les rythmes de sédimentation

Même s’il y a des faits historiques, on connaît mal le moment où les vieilles îles ont été rattachées au continent. On le sait bien pour l’Île de La Dive car c'est tardif donc très bien documenté, on le sait de la même manière pour la Faute-sur-Mer. Par contre, ici, on sait que ça a été des îles mais il y a beaucoup d'incertitude concernant le moment où l'île n'est plus une île. De toute façon, le problème est compliqué. En effet, lorsque ça sédimentait, il faut s'imaginer de vastes étendues herbeuses de prés-salés autour de ces îles et de minces chenaux séparant les paléoîles. C'était une morphologie pas très éloignée d'un polder avec ses chenaux. Mais c’étaient encore des îles puisque la mer circulait de part et d’autre.

En étudiant la pointe d'Arçay, nous avons écrit deux articles. Un article montre comment la pointe d'Arçay avait enregistré la variabilité du climat des vagues au cours du XXe siècle, avec une extrapolation sur les siècles précédents, et l’autre montre l'enregistrement de la variabilité climatique du nord-est atlantique. Nous savons donc que, dans la région, du sédiment enregistre la variabilité climatique.

Nous pourrions, par exemple, faire des recherches dans le marais poitevin pour analyser le dépôt des sédiments, les rythmes de sédimentation, et cætera, et surtout les flèches sableuses qui sont à l’intérieur. Cette recherche ambitieuse nécessiterait beaucoup de carottages mais apporterait quelque chose sur le rôle du climat dans la sédimentation de ce marais.

8 Falaise morte ou front de taille ?

Le chemin se poursuit entre deux falaises, une plus basse et l’autre plus haute.

Là, la route est quand même plus basse et sépare la falaise en deux. Il y a des chances que ce plateau soit anthropique. Je ne vois pas comment la nature, vu ce que je connais des variations du niveau de la mer, aurait pu faire une deuxième falaise. Une dépression suivie d’une zone plate et ensuite d’une falaise s’appelle une encoche tidale liée à l'érosion des vagues qui stagnent pendant le temps de l'étale de haute mer.

Sur un cycle de marée, le niveau de la mer n'arrête pas de changer du flot au jusant mais à l'étale, ça ne bouge plus tellement. À l'étale de marée basse, la hauteur d’eau est faible, donc pas de vague. Le seul moment où les vagues agissent dans la durée sur la falaise, c'est l'étale de marée haute. Le marais est alors en eau et la mer arrête de bouger. Puisque c'est à l'étale de marée haute que les vagues agissent au pied de la falaise, là, la seconde encoche, au-dessus de la première, est d'origine anthropique. Dès que c'est anthropique, je me méfie car cela devient tout de suite plus compliqué.

En regardant la falaise, on voit bien les alternances de niveaux un peu plus grossiers et des niveaux un peu plus fins. Cette stratification un peu en mamelon me laisse penser que c'est l'énergie des vagues, le transport par les vagues qui a été enregistré.

Il y a des endroits où on a des critères de litage et des critères de coquilles. Avec l'enregistrement par les vagues, les coquilles ont été malmenées par le transport et arrivent souvent cassées et usées. Lorsque les affleurements sont beaux, c'est spectaculaire. Ici, il reste juste ce litage en mamelon sur un calcaire un peu grossier. Cela ressemble à un front de taille car c'est vraiment très droit. Il faudrait que l'on compare avec une falaise naturelle. Avec elle, on aurait plus d'arrondis, on suivrait un peu plus la lithologie et on verrait les couches dures davantage ressortir et les couches tendres en dépression.

Des noms font davantage penser à la mer dans la toponymie locale : l’Île-d’Elle en particulier, le Sableau, Saint-Hilaire-la-Palud…

9 Trois échelles de temps

Pour le grand public, mélanger les échelles de temps est très compliqué car trois échelles de temps coexistent. D’abord l’échelle de temps de la formation des cailloux qui constituent ces anciennes îles, pour simplifier 200 millions d'années, c’est l’âge de ces roches, personne n'imagine ce que c'est que 200 millions d'années, même pour quelqu'un travaillant en géologie, c'est très dur à imaginer.

Après, il y a un million d'années, 1,8 million d'années, lorsque l'érosion dégrade les roches tendres. Qu’est-ce qu’un million d'années ? C’est le début du quaternaire. C'est donc le début de la période où survient à peu près tous les 100 000 ans une variation du niveau de la mer d'une ampleur de 100 m. Qu'est-ce que ça veut dire ? Tous les cent mille ans, la mer baisse de 100 m puis elle remonte. Ces pulsations sont terribles pour le paysage. À chaque fois, les fleuves rattrapent leur niveau de base, ils creusent, creusent, creusent, puis la mer remonte et ça recommence. Ça va le faire plusieurs fois.

Enfin, à 20 000 ans, le dernier maximum glacière, on était à moins 130 m et puis à partir de 10 000 ans, on commence à remonter, je ne me rappelle plus la courbe eustatique exactement, mais on doit être à peu près à -20, -30 m par rapport au niveau actuel. Cela correspond à peu près à la profondeur maximum des talwegs sous nos pieds, enfin je veux dire sous le marais poitevin, donc la mer commence à pénétrer dans ces rias. De 10 000 à 6 000 ans, elle franchit les derniers mètres qui la font arriver à -6 m sous le niveau actuel.

Il existe donc trois échelles de temps. Ce n'est pas évident d'autant que les roches calcaires d'il y a 200 millions d’années étaient des roches marines. Mais cette mer n'avait rien à voir avec l’actuelle et cela peut porter à confusion car, tropicale, elle venait de l'est.

10 Buttes témoins

Arrivé sur un point haut, Éric regarde l’horizon.

Là, j'ai fait simple en disant que ça pendait vers le sud car il y a certainement un autre pendage. Donc, des épines rocheuses vont être plus saillantes et, de l'autre côté, le relief sera moins important. C’est ce qu'on appelle des buttes témoins. Pour faire une analogie, j'adore l'ouest américain avec ses paysages qui me fascinent complètement. On peut penser les paléoîles du marais poitevin comme Monument Valley. À Monument Valley, on a des buttes témoins comme ça, pareilles, même si elles sont un peu moins spectaculaires ici.

Il y a également de magnifiques buttes témoins dans les Alpes. Par exemple dans le Vercors, c'est très spectaculaire. Des trucs magnifiques. Le Mont Aiguille en est une. Des trucs très hauts, complètement circonscrits de 300 m d'altitude.

Les leçons du passé permettent d’éclairer l’avenir. Ici, à un moment donné, les apports sédimentaires ont été plus importants que l’élévation du niveau de la mer. À quel moment ça s’est passé ? À quel moment l’élévation du niveau des mers était suffisamment ténue pour qu’elle puisse être finalement doublée par les apports sédimentaires ? On ne sait pas. Que sait-on aujourd’hui ? On vient de subir 6 000 ans d’élévation du niveau des mers. Un millimètre par an et pendant cette période, c’est la terre qui a gagné sur la mer. Nous ne savons pas quand, mais ça s’est passé puisque tous ces sédiments sont très récents.

11 Une montée de la mer qui s’accélère

Nous avons carotté ces sédiments et le bri entourant les paléoîles est l’équivalent de la vase des estrans d’aujourd’hui. Cette vase, partout où on a fait des carottes, a quelques siècles à quelques milliers d’années. Cela permet de comprendre que depuis que la mer est montée, elle s’est paradoxalement retirée face à la sédimentation de ce bri.

Que se passe-t-il aujourd’hui ? Durant les trente dernières années, nous sommes passés de 1 mm par an à 3 mm par an. L’élévation du niveau de la mer a donc été multipliée par 3. La sédimentation n’a pas changé, d’autant moins qu’elle est paralysée par l’homme. Dans les polders, il n’y a plus d’apports sédimentaires possibles puisqu’ils sont ceinturés par des digues. Les apports qui pourraient arriver par la mer via les marais ou par les rivières via la Sèvre niortaise, le Lay et cætera sont bloqués. On a donc un système où le robinet des apports sédimentaires a été coupé et où le niveau de la mer remonte.

Du coup, la vulnérabilité augmente à mesure que la mer regagne sur la terre. Si on connaissait exactement le timing de ce qui s’est passé dans le passé, si on savait précisément comment la compétition entre les apports sédimentaires et le niveau de la mer s’est faite, et bien, on aurait des éléments pour dire que nous sommes aujourd’hui dans une situation plus ou moins périlleuse. Sur les 6 000 dernières années, je vous ai dit que le niveau de la mer avait monté d’un millimètre par an puisque de 6 m en 6 500 ans. Mais ce n’est pas une courbe régulière.

Avec les questions liées aux changements climatiques, toute la communauté scientifique s’affaire sur le climat et sur les variations du niveau de la mer. Nous avons fait beaucoup de progrès sur les 20 dernières années. Nous nous sommes aperçus de petites variations rapides dans ce 1 mm par an. Nous avons des arguments en particulier pour dire qu’il y a eu des périodes historiques où la mer serait montée plus vite et des périodes où elle n’aurait pas monté du tout, ou peut-être même légèrement baissé. Du coup, la reconstitution locale de comment le trait de côte a bougé, en fonction des variations du niveau de la mer, serait vraiment très importante.

12 Faire parler les sédiments

L’itinérance se poursuit dans les rues du bourg de Chaillé-le-Marais.

Cette recherche n’est pas à faire dans les écrits historiques car ils ont été fouillés sans livrer d’informations suffisantes. En revanche, la sédimentologie peut apporter beaucoup de choses. Un travail ambitieux serait à faire. Mais le problème est qu’il n’y a aucune garantie : la sédimentologie, c’est comme aller chercher des champignons, il faut avoir un peu de feeling pour chercher aux bons endroits et parfois on n’en trouve pas.

J'ai une histoire incroyable sur l’enregistrement des submersions marines avec une thèse que je dirige. Nous sommes allés faire des carottes dans des champs non labourés où il y a eu 5 submersions – dont 1999 et Xynthia – sur les cent dernières années. Les maisons d’à côté ont été remplies d’eau et de boue. On sait donc que le sédiment était là. Eh bien, quand on fait les carottes, on n’arrive pas à distinguer les submersions. En fait, l’analyse montre que les apports sédimentaires ne forment pas une succession à cause de la bioturbation par les plantes et les petits animaux, et comme tout ça est un peu mélangé, nous n’arrivons pas à compter les submersions. On ne pouvait pas le savoir tant qu’on n’avait pas fait l’analyse en détail d’autant que cela fonctionne bien dans d’autres endroits du monde.

Le Blue Hole, un endroit dans le golfe du Mexique, qui marche très bien pour reconstituer l’histoire des tempêtes anciennes. Il y a donc des bons coins à champignons et puis des endroits où cela marche moins bien. C’est bien de faire des reconstitutions paléoclimatiques de tempêtes un peu partout dans le monde mais finalement, ce qui nous intéresse est de montrer comment un changement climatique qui a eu lieu, impacte la côte ici ou en Ecosse ou ailleurs. Nous n’avons donc pas d’autre choix que de mener des recherches locales.

Concernant l’horizon 2100 du GIEC, il fallait un langage commun et se fixer une limite pour diffuser la connaissance. Point barre. Donc, tout est par rapport à l’horizon 2100. Mais finalement, qu’est-ce qui va se passer en 2200 ou même en 2150 ? Nous ne sommes pas tout à fait sûrs que la mer montera de 80 cm ou 1 m en 2100 ou si ça arrivera en 2050. Les aménageurs vont me dire que cinquante ans c’est important pour leurs décisions. Je ne sais pas. Mais ce qui est sûr, c’est qu’on est parti pour un grand chambardement, ça c’est évident. Très bientôt on va avoir un changement de régime sans connaître exactement la variation exacte du niveau de la mer. Est-ce que c’est 4 mm par an, 5 mm ? En fait c’est très difficile de répondre à cette question car le système n’est pas naturel mais anthropisé. De toute façon, aujourd’hui, on rehausse les digues dans bien des endroits pour compenser cette élévation du niveau des mers et les territoires ne vont pas énormément changer.

13 Un port sous le vent

Ils prennent le chemin du port pour arriver, en contrebas, à une barrière devant un champ.

Nous sommes ici orientés vers le nord-est, sous le vent dominant puisque les vents les plus violents sont ceux de sud-ouest. On peut imaginer un chenal de marée venait par derrière, pas trop loin et que les bateaux empruntaient ce chemin-là. On va regarder sur la carte géologique. Maintenant je dois capter un peu de réseau, oui, c’est bon, j’ouvre l’application InfoTerre sur ma tablette.

Regardez l’écran. Non seulement nous sommes sous le vent dominant et on imagine que les vagues venaient frapper la partie sud ouest de l’île. Mais ici on voit sur la carte que cela faisait un petit golfe et un port naturel magnifique. Le détroit était vraiment étroit. J’ai même une légende sur la carte géologique : calcaire dur noduleux, calcaire feuilleté du Callovien supérieur. On voit l’île avec sa forme d’arc très différente de ses petites copines qui sont plus allongées. Cet alignement rocheux d’îles – constituées aujourd’hui de Champagné-les-Marais et de Sainte-Radégonde-des-Noyers – est très spectaculaire. Il témoigne vraiment du pendage des couches qui pendent vers le sud ; la partie dure du Callovien fait une échine, un relief, et puis après on passe à l’étage suivant, l’oxfordien, qui est très marneux et qui a été décapé pour laisser la place au Kimméridgien dur de La Rochelle.

Le Marais poitevin se caractérise par deux ensembles rocheux. Au premier ordre, il est installé sur des roches tendres. Quand on regarde dans ces roches tendres, au deuxième ordre, il y a le Callovien qui est un peu plus dur. Entre le Callovien inférieur tendre et l’Oxfordien tendre, ça fait une petite échine. C’est celle qui barre tout le marais. Elle coupe le marais en deux en fait. On voit cet alignement-là repris par toute cette série d’îles qui ne sont pas disséminées de manière aléatoire.

On voit bien l’alignement suivre la géologie et des couches géologiques orientées grosso modo avec un pendage vers le sud. Il y a une coupure. Si on découpe en longueurs d’onde caractéristiques, il y a une première longueur d’onde, c’est l’ensemble du marais, puis deux sous-ensembles et ensuite encore d’autres sous-ensembles.

14 D’anciens pertuis

L’érosion a façonné ce système d’îles. Lorsqu’il était en eau et non sédimenté, ce marais devait ressembler au golfe du Morbihan, vous voyez, plein d’îles, beaucoup de courants de marée parce que mine de rien, les pertuis d’aujourd’hui subissent des courants de marée du fait des détroits vraiment bien localisés. Dans le courreau de la Pallice ou le pertuis de Maumusson, vous avez des courants de marées très forts. On peut imaginer exactement la même situation, même encore plus importante.

Le prisme tidal est très important pour les courants de marées. C’est le volume oscillant d’eau imposé à la fois par le marnage, l’amplitude de la marée mais aussi par la géomorphologie de la baie. Plus la baie est étendue, plus elle a des estrans vastes et plus on va avoir un prisme et des courants importants. Là, on peut imaginer le pertuis breton multiplié par deux, trois, quatre, cinq, six, sept peut-être. Quand le golfe se remplissait à marée haute jusqu’à Niort et que tout repartait dans l’autre sens, de part et d’autre des îles, cela devait déménager.

Imaginons maintenant la grosse catastrophe : la mer monte, un mètre, on l’absorbe, deux mètres voire plus, alors là, on n’aura pas les reins assez solides financièrement pour tout protéger. Il faudra alors abandonner des territoires. Mais je ne pense pas que nous abandonnerons tout d’un seul coup. Certaines zones vont être protégées. Ce seront alors pas tout le marais qui sera inondé mais seulement certaines parties. Ces parties du marais laissées à la mer ne fonctionneront plus comme avant pour une simple et bonne raison : elles sont déjà colmatées. Or, dans son histoire ancienne, il n’était pas colmaté et possédait une paléotopographie avec des zones très profondes qui étaient les anciennes vallées où se focalisaient les courants de marée. Comme aujourd’hui tout est plat et bien sédimenté, on ne retrouvera plus jamais des courants de marées aussi importants.

Avec Xynthia, il y eut pratiquement de l’eau jusqu’ici. Xynthia fut un truc de fou. Le rocher de La Dive, qui est une paléoîle à peu près équivalente de celle sur laquelle nous sommes aujourd’hui, était complètement ceinturé d’eau.

15 L’énigme du banc coquillier
de Saint-Michel-en-l’Herm

La mer est restée plus longtemps à l’ouest. Il y a cette histoire loufoque sur les huîtres : le banc coquillier de Saint-Michel-en-l’Herm. Elle a fait couler beaucoup d’encre parce qu’une accumulation coquillière, quasiment que des huîtres, y est très spectaculaire et très épaisse. Ça fait plusieurs mètres d’épaisseur sur plus d’une centaine de mètres, 300 m, je ne sais plus trop.

Que le banc coquillier ait été exploité par l’homme et recreusé est un problème. On n’a pas la situation initiale. Il y a eu tout un tas d’hypothèses farfelues. Comme c’était une accumulation d’huîtres et qu’on sait que la mer était présente, on s’est dit que c’était la mer qui les avait apporté. Alors pourquoi autant d’huîtres à cet endroit et pas ailleurs ? Après il y a eu des hypothèses humaines : les gens ramassaient les huîtres pour les manger, sauf que la plupart des huîtres ont encore les deux valves jointives. On n’imagine pas trop les gens manger les huîtres et les remettre correctement avant de les poser sur le tas ! L’hypothèse la plus raisonnable, mais je n’ai pas travaillé là-dessus, serait qu’à l’époque on utilisait le calcaire des coquilles pour faire de la chaux pour les maisons. On ramassait les huîtres, on les déposait à cet endroit-là et après on venait piocher quand on en avait besoin. Donc, a priori, c’est artificiel.

On peut imaginer que les gens venaient en bateau et déposaient les huîtres. Ce qui ne collait pas, c’est que l’élévation des huîtres était bien au-dessus du niveau des mers. Si on s’en tient à la bibliographie scientifique, en Australie par exemple, on sait que les cyclones des énormes tempêtes tropicales peuvent provoquer des élévations du niveau d’eau de l’ordre de plusieurs mètres au-dessus du niveau normal. Et qu’est-ce qui se passe dans ces cyclones, surtout dans les environnements coralliens ? Tout un tas de débris coralliens sont emportés par le cyclone et sont balancés sur le continent pour former un bourrelet, et le cyclone suivant fait un autre bourrelet, et cætera. Cela forme des plaines de beach-ridges, en Australie où toutes ces grandes accrétions ont été datées. À Saint-Michel-en-l’Herm, les auteurs ont pu dire à un moment donné qu’il s’agissait d’un bourrelet de tempête. Sauf que dans les bourrelets, les coquillages sont broyés. Or ici, à St Michel, les huitres sont vraiment propres. C’est très spectaculaire.

16 Au coeur de l’île bâtie

17 Les cycles climatiques

La contribution astronomique aux variations du niveau de la mer est bien connue sur des cycles de temps très long. Les cycles de Milankovitch ont été popularisés dans les années soixante-dix. Ils sont liés au fait que l’excentricité de la rotation de la planète Terre autour du soleil change, que son inclinaison change également et que l’interaction de ces deux paramètres produit un troisième cycle.

Ce sont des cycles à 20 000, 40 000, 100 000 ans, très connus. Nous sommes actuellement dans une période interglaciaire dans un cycle alternant les périodes glaciaires et interglaciaires. Puisque nous sortons d’une période interglaciaire, nous devrions naturellement aller vers une période glaciaire, donc vers un refroidissement du climat et vers une baisse du niveau de la mer, mais sur une échelle de temps de plusieurs millénaires. Ce n’est pas du tout la même gamme de temps.

Lorsque ces cycles ont été popularisés par Milancowitch, le Times a illustré sa couverture avec New York sous la neige comme c’était le cas il y a 20 000 ans. J’ai retrouvé le magazine et c’est vrai qu’un jour New York sera sous les neiges comme il y a 20 000 ans. On ne voit pas trop comment l’homme pourrait le contrecarrer, mais on ne sait jamais avec des phénomènes naturels aussi amples. J’ai même des collègues qui pensent qu’avec la variation de CO2 qu’on est en train d’imposer, on pourrait retrouver des taux de CO2 d’il y a 30 ou 40 millions d’années. Ce qu’on impose à la planète en termes d’émission de CO2, c’est beaucoup, beaucoup plus important que les variations en CO2 du Quaternaire, donc depuis deux millions d’années.

La gamme de variation entre 100 et 300 ppm ou 150 à 300 ppm était déjà importante, et là nous avons dépassé les 400. Viennent ensuite les autres perturbateurs climatiques et en particulier les volcans : les très grosses éruptions peuvent entraîner des crises climatiques, mais c’est assez ponctuel. Après, une variation climatique est imposée par la circulation océanique, où les masses d’eau se déplacent sur des cycles longs, de plusieurs siècles à des millénaires, et la répartition des eaux chaudes et des eaux froides fait que localement le climat peut être perturbé. L’incidence de ces deux phénomènes sur la variation globale du niveau des mers n’est pas prouvée ou est peu importante.

La grande circulation de l’océan, appelée circulation thermohaline, est le produit des variations de densités et de températures. Elle plonge aux endroits très denses, froids et salés. Au contraire, les zones moins salées la font remonter. Un peu comme la circulation atmosphérique : tout cela se met en branle et fait de grandes cellules de convection. Combiné à l’effet de Coriolis, cela provoque une déviation de ces grandes cellules à l’image de la circulation atmosphérique avec ses alizés dans les hémisphères nord et sud. Les océans sont soumis cet effet de Coriolis en plus du moteur initial qui est le moteur thermohalin.

Mais les variations du niveau des mers récentes… Qu’est-ce qu’on appelle récentes ? La variation du niveau des mers à l’échelle de 100 000 ans est liée aux cycles astronomiques, d’accord. De -130 m il y a 20 000 ans à -6 m il y a 6 500 ans, c’est encore lié aux cycles astronomiques. Les variations sur des temps plus courts, c’est-à-dire sur l’histoire – petit âge de glace, période de l’optimum climatique médiéval, Dark-Age, ça, c’est le début du Moyen-âge très froid, optimum climatique romain – appartiennent à une cyclicité qui n’a pas la même origine. Il y a eu une contribution océanique et l’autre forte contribution fut les taches solaires ! L’activité solaire fait qu’il y a eu une insolation variable et depuis 1850, l’impact humain s’associe à tous ces phénomènes que j’ai déjà expliqués, très grandes longueurs d’onde, plus courtes, et cætera.

Les climatosceptiques vont dire « il y eut les variations glaciaires, interglaciaires, alors qu’est-ce que l’homme là-dedans ? En plus, la variabilité climatique historique est due à des taches solaires et à la circulation océanique, ce n’est pas l’homme… ». Certains climatosceptiques disent que des grandes extinctions ont eu lieu à la fin du Crétacé et du Permien, une nouvelle extinction n’est donc pas grave et l’homme s’en sortira. Voilà, on entend ces arguments géologiques que je connais très bien. Mais on sait bien que dans les sociétés humaines, il suffit que le président des USA dise quelque chose pour que les cours de je ne sais pas quoi s’effondrent. Vous imaginez donc que ça va être énorme s’il y a un changement climatique.

Tout dépend du monde que l’on souhaite. La nature s’en sortira sans nous. De toute manière la durée de vie d’une espèce sur la planète Terre – l’absurdité de manipuler ces échelles de temps – est un million d’années. Au bout d’un million d’années, on change d’espèce. Hop, reset ! Alors évidemment, on pourra parler des fossiles vivants, le cœlacanthe, et cætera, mais en moyenne c’est ça. À moins que l’homme soit une espèce tellement particulière qu’elle dure des dizaines de millions d’années…

18 Prendre le temps de la pédagogie

Les grandes échelles de temps sont importantes. Mais par rapport à la question du changement climatique, il faut jongler avec différentes échelles. Je comprends que les gens soient perturbés. Je ne suis pas demandeur mais on m’invite pour des conférences grand public, à la radio ou à la télévision. Lorsqu’on me demande, je dis toujours oui car je pense qu’il y a une nécessité d’expliquer en profondeur, prendre le temps de le faire. La conférence grand public est bien car elle laisse du temps, 30 minutes, 40 minutes pour bien expliquer les choses. Il faudrait prendre un papier et un crayon, dessiner les cycles avec leur périodicité : on fait un axe des temps, on voit le cycle à 100 000 ans puis sur quelques millénaires…

Al Gore a été bon là-dessus avec son film où il prenait un élévateur dans une salle de conférences pour suivre la courbe de CO2. Lorsqu’il crève l’écran, on comprend que nous sommes sortis de la variabilité naturelle et qu’il y a un problème. Et là, on voit très bien que l’axe des temps n’est pas respecté : la variabilité naturelle est en train de changer avec une progression verticale puisque cela ne se passe plus en 100 mille ans ou en millions d’années mais depuis 1850. L’accélération récente de ces cinquante dernières années est fulgurante.

J’étais à un congrès à San Francisco au mois de décembre dernier, la scène était très drôle. On était dans un restaurant et je devais rentrer. Je suis un peu old school mais un de mes jeunes collègues me dit « Éric, mais pourquoi n’appelles-tu pas un Uber ? Ne t’inquiète pas, regarde tous les taxis qui sont là. Je l’appelle au dernier moment parce qu’il y en a tellement que le délai d’attente est de moins de 2 minutes ». Le Uber est arrivé tellement vite que j’en ai oublié mon ordinateur dans le restaurant. Vous voyez, les échelles de temps pour un géologue…

Nous autres chercheurs avons cette chance, en tous les cas cette caractéristique, de passer d’un cours en amphi de 1re année avec des étudiants sortant du lycée à un appel téléphonique avec un collègue qui est la référence internationale dans un domaine spécifique. J’ai conscience en tout cas que lorsque je vulgarise, bah des fois, je dis des trucs un petit peu faux parce qu’il y a trop de raccourcis. Ou alors, ça laisse un libre arbitre tel qu’on peut transformer ce qui a été dit. Dans un monde où les gens sont gavés d’informations, il faut aller très vite et on est bien obligé de jouer la carte du « rapide ».

19 L’implantation humaine

Après avoir fait le tour de l’île urbanisée, l’itinérance se poursuit sur la pointe est de l’île.

Au gré de mes voyages, je me suis toujours dit qu’il y avait des implantations humaines anciennes qui étaient, qui me semblaient, liées à la beauté du paysage. Des sites mégalithiques sont très beaux sur les côtes du pourtour méditerranéen. On se dit que certaines implantations ne sont pas dues au hasard mais à la beauté du site.

Ah, voilà le village de l’an VII. C’est donc le moment où on a autorisé ici à construire au pied de la falaise alors que jusqu’à présent les hommes étaient restés sur l’île. Ceci dit, en l’an VII, la mer était loin depuis un petit paquet de temps. Regardez, la falaise derrière ces maisons, là, je pense qu’on peut considérer qu’elle est naturelle. C’est joli, n’est-ce pas ?

Il y a dans cette falaise une très belle discontinuité sédimentaire. Les changements comme ça entre des calcaires et des marnes sont certainement dus à des petites variations du niveau de la mer. Souvent, les calcaires sont moins profonds et les marnes tendres le sont plus. Ça peut être dû aussi à un changement climatique mais il faudrait examiner le toit des marnes. J’ai cependant l’impression que le contact est très très franc, comme on dirait en anglais sharp contact. Sur la droite, un litage oblique est recoupé par la surface au-dessus, ce qui laisse penser qu’il s’agit d’une surface d’érosion, de ravinement. Avec le peu d’éléments que j’ai, je verrai bien une sédimentation en mer dans une marne plus profonde, puis une surface de ravinement, d’érosion. Surtout, elle apparaît plane, ce pourrait donc être une surface d’érosion par les vagues.

Et puis après est arrivée une reprise de la sédimentation. Pourquoi une surface d’érosion par les vagues qui arrivent ? Nous étions alors dans un environnement un peu plus profond mais la mer a baissé au point que les vagues ont raviné les marnes. Les apports sédimentaires sont ensuite arrivés et ont colmaté tout ça. Voilà le scénario envisageable pour cette falaise.

Dans tous les cas, c’est sûr qu’un changement aussi brutal implique des changements de conditions, soit du niveau de la mer, soit des conditions hydrodynamiques. Là, je réfléchis à voix haute sans trop savoir si ce que je dis tient la route. Ce qui manque ici, c’est la fameuse encoche tidale. Les falaises avec une sape par la mer présentent un surcreusement au niveau de la zone où agissent les vagues, juste au-dessus de la terrasse de basse mer. Ici, la terrasse de basse mer est complètement anthropisée puisque des gens ont construit dessus. Elle devait se prolonger sous le champ qui est de l’autre côté de la route et l’encoche tidale doit se trouver sous du remblai. À Esnandes, sur le rebord sud du marais poitevin, des falaises viennent d’être juste abandonnées par la mer et on y voit cette morphologie.

La sape de la mer se passe à marée haute, et donc en pied de falaise, en transition entre la plateforme intertidale rocheuse et la falaise. En fait, cette plateforme est l’héritage d’une surface d’érosion qui progresse. Attention, cette encoche tidale n’explique qu’une partie de l’érosion. Il n’y a pas que des paramètres marins dans l’érosion des falaises, il y a aussi des paramètres internes à la falaise comme les diaclases ou les fracturations. Parfois des poches karstiques sont présentent dans les falaises calcaires, donc des poches de dissolutions. Ça fait comme une petite caverne, et cætera. Un pan de falaise est devant la petite caverne et à un moment donné, crack, tout s’effondre. En fait, l’explication est plus la poche karstique avec d’éventuelles infiltrations à l’intérieur que la mer elle-même, donc ce n’est pas toujours que la mer.

20 Une sirène contemporaine

Bruit de déclenchement de Polaroid de Valérian dans le village de l’an VII.

Quand je pense au Polaroid, je pense toujours à Patti Smith. Elle est venue à La Rochelle, il y a 4 ou 5 ans, faire un concert à la Sirène et elle est venue l’après-midi à l’université pour répondre à nos questions. C’était juste avant son concert et elle était accompagnée de son guitariste. Elle était dans un amphi, répondait aux questions et à un moment elle a parlé de Bob Dylan. Elle a dit « bon, allez, je vais vous faire une chanson de Bob Dylan » et le guitariste a sorti sa gratte acoustique sans micro. Argh !

Je trouve que cette femme a une voix extraordinaire qui me touche, bon ça c’est très perso, puis sa vie est culottée, j’ai lu son bouquin, M. Train. Elle arrive à New York sans un sou, elle est SDF en fait et elle a juste cette idée qu’elle est un peu poète, qu’elle voudrait être poète comme Rimbaud. Ça ne fait quand même pas beaucoup de pièces en poche pour y arriver. Et elle y arrive.

Je pense qu’elle a un charisme hors norme. Quand cette femme déclame, ce n’est pas rien. Je pense qu’elle a dû fasciner ses copains et elle est sortie du lot. J’étais très impressionné de la voir et du coup je l’ai vu deux fois en concert. Dans la chanson Gloria, il y a un moment elle parle comme elle parlait dans l’amphi avec sa voix incroyable. Quand j’étais adolescent, nous écoutions Patti Smith mais il y avait plein de filles qui faisaient du rock comme Pat Benetar, Blondie, des belles nanas, et Patti Smith était moins jolie. Je trouve que cette femme devient belle en vieillissant et qu’elle a un regard, une stature et une façon de poser sa voix.

Quand elle déclame, on sent une révolte, que c’est quelqu’un qui est habité par ça. On sent que c’est elle qui est comme ça et se moque du succès. Qu’une femme – même si elle est plus connue en Europe qu’aux USA – vienne gratuitement dans un amphithéâtre de l’université de La Rochelle avant son concert, montre une démarche, je ne sais pas…

21 Témoins et sentinelles climatiques

Ils rejoignent le bourg installé au sommet de l’île.

Cela me fait penser à un endroit du Portugal que j’aime : Viana do Castelo. Tout en haut, un promontoire rocheux domine tout l’estuaire. C’est extraordinaire de voyager, car on découvre plusieurs lieux qui se réclament être les plus beaux endroits de la terre. Là, c’est noté que le National Geographic aurait écrit que c’était peut-être la plus belle vue de la planète…

Il existe des sentinelles du changement climatique. Le comportement de la ligne de rivage aujourd’hui en est une avec cette compétition entre les apports sédimentaires et l’élévation du niveau des mers. Pour simplifier, ça fait des millénaires que le trait de côte avance sur la mer, migre vers la mer. Est-ce qu’aujourd’hui ce trait de côte va se stabiliser, va arrêter de gagner ?

Le trait de côte est une sentinelle avec ses évolutions dans un proche futur. Ces paléoîles ne sont pas des sentinelles mais les témoins de ce passé insulaire. C’est peu spectaculaire ici, mais sur La Dive, les quelques maisons sur le rocher donnent la sensation d’habiter sur une île.

22 L’enseignement des îles Samoa

L’été dernier, j’étais sur une île perdue dans le Pacifique, aux Samoa indépendantes. Un tsunami a eu lieu en 2009 or il se trouve que l'archipel est coupé en deux avec une partie américaine. Les Américains s’occupent beaucoup des risques naturels et c’était la première fois qu’un tsunami faisait de nombreuses victimes sur leur territoire. Ils ont fait ce qu’ils font toujours après une catastrophe naturelle : ils envoient une équipe post event avec une kyrielle de spécialistes, beaucoup de géologues puisque c’est quand même un phénomène géologique au départ, mais aussi des sociologues pour des enquêtes.

Alors qu’on est au milieu du Pacifique, un petit peu en marge du monde qui bouge, il en ressort que les Samoans ont été évangélisés mais ils font une mixture religieuse avec une juxtaposition de sectes… Bref, chacun a sa petite église. À côté de cela, ces gens sont tatoués, très proches de la nature et maintiennent leurs danses tribales et cætera. La dernière fois qu’il y a eu une telle catastrophe remonte vers 1900 et pourtant tout le monde a « zappé » cet évènement.

D’un côté, ils maintiennent des danses très anciennes, antérieures à l’évangélisation qui a tout de même fait un sérieux reset des mentalités, et de l’autre, ils avaient « zappé » cet évènement sur une île pourtant très vulnérable aux tsunamis.

C’est quand même très étonnant. Cela peut se comprendre en Europe où il y a eu tellement de bouleversements. Nous sommes coupés de nos racines, les familles ne vivent plus ensembles, les anciens vivaient à la campagne et nous vivons tous en villes. La plupart des habitants sur les côtes ne sont pas nés là. Alors je me dis que si même les habitants des Samoa ont oublié leur tsunami qui a moins de 100 ans – ils ont aussi des séismes dus à la fosse de subduction au sud qui envoie régulièrement des rappels, on sent très bien ces séismes – cela laisse peu d’espoir pour nos sociétés occidentales.

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